Le coeur sauvage

Ce n’est pas un livre de plage et c’est tant mieux car je n’aime pas la plage. C’est un regard poignant et nostalgique sur nos vies, sur la puissance du lien qui nous relie à la nature, au monde de notre enfance et aux rêves de notre adolescence. C’est un livre plein d’une infinie tendresse sur la mort d’un rêve, qu’on dit américain, mais qui fut aussi celui de toute une génération, la mienne, celle des “hippies” et des “soixante-huitards”. Celà se passe dans le Vermont, une région rurale des USA en plein déclin, mais celà pourrait tout aussi bien nous décrire nous, ici, dans ce Val d’Entraunes où j’ai finalement échoué. On y parle surtout de femmes seules, des rapports entre mères et filles, entre pères et filles, de l’amitié entre femmes, mais les hommes y sont cependant présents et étonnamment humbles et humains.

Ce sont onze nouvelles qui ne racontent que des choses ordinaires de la vie : les ruptures et les désillusions séparant époques et générations; l’amour qui s’enfuit, toujours insaisissable; l’angoisse qui vous étrangle de perdre votre enfant unique au Vietnam ou en Afghanistan; la mort qui vient pointer le bout de son museau cancéreux pour siffler la fin d’une longue, belle et folle récréation; la ténacité qu’impose un monde dur, mais qui finit par réunir ruraux et néo-ruraux. On y trouve même le récit fidèle de la mort de Dany à Sauze-Vieux (sauf que dans le livre il s’appelle Tub) et cette nouvelle, intitulée “ les tourtereaux”, est d’une beauté indicible…

Ne cherchez pas dans ce livre une once de psychologie, la moindre leçon ou une quelconque tentative d’explication. Il ne fait que décrire avec une pudeur extrême des “short cuts”, des successions d’instants, d’ambiances, de menus dialogues qui en disent bien plus long que tous les discours. Les maisons délabrées, la musique, l’alcool, la nature – tantôt rassurante, tantôt angoissante – et ses saisons en constituent le décor, décrit avec le lyrisme simple des choses vécues. “Et moi ? A quelle maison j’appartiens ? A quel pré ? Les grillons stridulent de plus belle, partout. Toujours ce même vieux, très vieux chant d’amour;”

C’est le livre – pour moi, sublime – que je vais présenter ce soir à l’Assiette Littéraire. Pardonnez-moi par avance car je vais pleurer. Je sais très bien que cà ne se fait pas pour un homme. Sauf dans ma génération, celle, justement, des “coeurs sauvages” des années soixante : c’est même l’une des seules conquêtes dont je suis fier, ce droit d’afficher sans honte, pour nous, les mâles, notre sensibilité.

Robin Macarthur “Le coeur sauvage” Albin Michel

De l’art de tourner en rond…

Ce matin, lorsque je me suis levé, j’avais impérieusement besoin de continuer à tourner en rond. Mais comme les nuages en avaient fini de vider dehors leur sac de pluies maussades, il était exclu de continuer à le faire dans le cadre exigu de mes quatre murs. Heureusement, je connais un lieu proche de la maison qui se prête parfaitement à cet art salutaire, assidument pratiqué depuis des siècles par les moines et les derviches tourneurs.

Le vallon de la Roche Trouée n’offre aucun débouché. Il ne conduit à aucun col facilement praticable. Par contre, allez savoir pourquoi, le sentier qui le remonte sur une rive s’offre le luxe insensé de le redescendre sur l’autre, décrivant ainsi une boucle aussi belle que parfaitement absurde et totalement inutile (encore une invention géniale de notre glorieuse Grande Muette dans les années trente).

Faut-il préciser qu’en conséquence cette splendide vallée en cul-de-sac est assez peu fréquentée, ce qui lui confère à mes yeux un charme supplémentaire. Car j’aime ce large vallon. Orienté plein Nord, il garde longtemps la neige poudreuse en hiver, et c’est alors mon Grand Nord. Tapissé de mélèzes et couvert d’éboulis de gros blocs, plantés là par des glaciers en fuite, il m’évoque les Rocheuses ou l’Alaska, tant par la découpe avant-gardiste de ses crêtes de grès que par les trois jolis miroirs que la fonte des neiges alimente avec amour afin que le printemps puisse s’y mirer.

Ce matin, mon vallon était fidèle à lui-même. Un sorcier aigri avait usé d’un vieux sortilège d’hiver pour pétrifier dans la glace le petit peuple de l’herbe. Un vent fripon s’infiltrait à travers la Roche trouée et soufflait sur mes doigts gourds. Têtu comme une mule, je m’obstinais à surmonter la Côte de l’Ane (2900 mètres d’altitude, tout de même), traversant des névés que les ardeurs matinales du soleil laissaient encore de glace.

Je ne vous dirai pas ici tout le beau qui vint à ma rencontre au cours de cette journée.
Sachez seulement que tourner en rond n’est pas toujours vain.
Celà dépend peut-être du sens que l’on choisit de lui donner.
Mais çà, la réponse est en chacun de nous, et je ne suis pas gourou.

Retour au point de départ

Je suis un fils de réfugié et j’en suis fier.

Mon père a fui la barbarie franquiste (35000 exécutions par les Phalangistes en 1939) à bord d’un des derniers bateaux partis de Carthagène. Il est arrivé à Oran, en Algérie, où on laissa le navire bondé à quai plus d’une semaine, avec, pour tout ravitaillement, de l’eau et du pain. Il avait 22 ans. Là, on l’a envoyé au fond du Sahara, à Kenadza, à côté de Béchar, dans un camp de travaux forcés – huitième compagnie de Travailleurs Etrangers – où il échappa de peu à une épidémie de typhus ou de choléra, tant les conditions de vie étaient inhumaines. Libéré en 1944, il obtiendra le statut de réfugié, puis la nationalité Française (avant de récupérer bien plus tard l’Espagnole).

Son éducation n’a rien coûté à la France. Par contre, il a payé cotisations sociales et impôts dans son pays d’adoption jusqu’à sa mort.


Je suis un fils de réfugié et j’en suis fier, comme je suis fier de mon ascendance européenne, française et espagnole. Mais vous pouvez comprendre pourquoi, pour moi, l’utopie européenne, l’anti-fascisme et l’accueil des réfugiés ne se discutent et ne se mégotent pas.

Ici prend fin le voyage de Don Quichotte et de Rossinante : exactement à ce qui fut son point de départ initial.