Me voici donc reparti à l’aventure. Cette fois, je vais randonner à pied. J’ai lâchement remisé Rossinante, ma bicyclette chérie, au garage. Il n’empêche que c’est quand même un voyage écolo, puisque je projette de marcher dans des parcs nationaux infiniment plus sauvages que mon banal petit Mercantour quotidien, de ces réserves naturelles où l’on peut même, paraît-il, rencontrer de vrais pingouins.

Ceci dit, le wilderness a aujourd’hui un prix. Comme pour toutes les choses rares, celui-ci se fait de plus en plus élevé au fur et à mesure que notre monde saccage le premier alors que la demande – nostalgie de l’homme sauvage oblige – augmente. Il ne m’a donc fallu pas moins de deux trajets en bagnole et un nombre incalculable d’heures scotché sur un siège dans un tuyau volant, pour gagner l’antichambre de mon nouvel Éden écologique : la Patagonie chilienne et sa capitale, Punta Arenas.

Les deux jours consacrés à cette approche m’ont cependant laissé le loisir d’observations intéressantes, notamment sur les mœurs des pingouins recourant comme moi à ce mode de locomotion. Le trajet Nice-Paris, effectué en compagnie de pingouins majoritairement européens, s’effectua dans un silence sépulcral, la plupart d’entre eux ayant pris soin de se boucher les oreilles avec des écouteurs et de visser leurs regards sur de petits écrans. Cette forme nouvelle de méditation cathodique implique assurément une concentration telle qu’elle exclue toute tentative futile de discussion ou de bavardage avec autrui. Quant à l’aéroport de Roissy, un lundi soir peu avant minuit, cela donne un aperçu glacial de ce que va être l’effondrement de notre civilisation, même sans la moindre catastrophe sismique. Il ne restait plus qu’à couper la lumière…

Il faut paradoxalement se rapprocher de l’Antarctique pour mesurer toute la réalité du réchauffement climatique. Il s’est fait sensible dès l’aéroport de Santiago, où l’hôtesse envoya d’un clic mes bagages à Punta Arenas, mais ne put aller plus loin que Puerto Montt, la première escale, pour ce qui concerne leur propriétaire. Comme je m’en étonnais – impossible de s’en offusquer sérieusement devant un si charmant sourire – elle m’asséna sereinement que ses collègues de Puerto Montt trouveraient bien la solution… ce qui fut fait, rassurez-vous. D’ailleurs, qu’il y ait un passager de plus que le nombre de sièges, était-ce vraiment un problème grave ? Quant à l’ambiance à bord, chauffée à blanc par des heures de discussions véhémentes, par les piaillements de bébés pingouins se poursuivant dans le couloir – ce sont ici les grandes vacances -, elle culmina dans le tonnerre d’applaudissements qui salua notre atterrissage, un rien chahuté par le vent sur le petit aéroport de notre destination finale. Ainsi en va-t-il de la théorie de l’évolution chère à mon collègue Darwin (un autre amoureux de la Patagonie) : soumis à des environnements différents, les pingouins chiliens sont restés bien plus détendus et plus communicatifs que leurs homologues européens, pourtant obnubilés par les problèmes de communication.

Comme ce n’est pas parce qu’on est retraité qu’on est là pour chômer (proverbe Macroniste), à peine arrivé hier soir à Punta Arenas, j’ai embarqué ce matin pour rendre visite à mes copains les pingouins du Détroit de Magellan. C’était la moindre des politesses, d’autant plus incontournable lorsqu’il s’agit d’un voyage écologique, ne l’oublions pas. Au prix donc de deux trajets en autocar, et d’un périple marin sur une vedette à moteur ultra-rapide, nous étions une délégation d’une trentaine de gilets orange venus saluer le travail remarquable accompli par ces pingouins (à gilets noirs) dans le domaine de l’éducation. Ainsi peut-on observer que les deux parents s’occupent très égalitairement de leur progéniture, laquelle, la plupart du temps doit rester sagement à la maison au lieu d’aller mettre le souk chez les voisins. Certes, il est parfois des moments de tensions avec d’autres espèces (on entend parfois des « vos gueules, les mouettes » ), mais une harmonie paisible semble régner au sein même d’une communauté pourtant bien plus densément peuplée que la plupart de nos cités à problème.
Cette expédition lointaine se révèle donc dès ses débuts très riche d’enseignements. Pour ma part, je ne doute pas du bien fondé de ce voyage écologique, pas davantage que je ne redoute ceux de mes amis qui n’attendront même pas mon retour pour publier sur Facebook mon désastreux bilan carbone, histoire de torpiller mon irrésistible ascension politique. Tout ceci, je le redis ici, ne vole en réalité pas plus haut … qu’un pingouin.

PS : si vous ne comprenez pas le lien qui peut unir les mots humour et amour, je ne peux hélas rien pour vous. Ils recouvrent ici de leur pudeur et de leur dérision mes questions, mes incertitudes sur le sens et sur la forme à donner maintenant à nos voyages .