CORSICA SERIES

1er Avril 2022 – TOULON – BASTIA

Premier Avril. Rien à voir pourtant avec une farce ou une blague douteuse. D’ailleurs, aucun doute n’est permis ce soir : le seul déplacé qui embarque sur le ferry pour Bastia, c’est bien moi. L’ami Fred, fidèlement, veille à la manœuvre et nous largue avec nos deux vélos sur les quais de Toulon. Il y règne un vent à démâter n’importe quel navire. Nous ne le savons pas encore, mais ce ne sont que les prémisses de ce qui nous attend en Corse. Le grand souffle de l’aventure, en quelque sorte… Le tout est plutôt de savoir où se niche la véritable aventure. Car pour une fois je ne pars pas seul, mais avec une charmante compagne de voyage, rencontrée sur un site bien connu de rencontres écolos. A ce stade de l’histoire, seul l’avenir peut dire si nos cotisations réciproques auront été un bon investissement affectif ou rien qu’une farce de 1er Avril … Mais bon, c’était déjà trop tard pour nourrir des regrets : les amarres étaient larguées et les dés jetés.

2 Avril 2022 – BASTIA

Il pleut sur Bastia. Il neige sur les hauteurs qui dominent la ville. De sombres nuées plombent le ciel. La ville revêt au petit jour le charme lugubre d’un port breton en hiver… Il fait un temps à ne pas mettre un cycliste dehors, sauf peut-être escorté d’un Terre Neuve dressé au sauvetage en mer. C’est le moment opportun que choisit le dérailleur de ma nouvelle compagne d’aventure pour pousser son petit caprice. Bon ! Ce n’est après tout que le premier test pour une équipe qui est encore loin de constituer un tandem :  rester aussi flegmatique qu’un Corse devant un fourgon de CRS, analyser (très froidement) le problème, tenter une réparation de fortune, et finir par dénicher providentiellement le seul marchand de cycles du centre-ville (« Cycles 20 » pour mieux le dénoncer).

Cette divertissante péripétie de mise en jambes nous ayant ouvert l’appétit, nous sommes logiquement tombés du premier coup sur le plus corse des petits restaus de la ville. C’est à la lumière de ce genre de pseudo-hasards heureux que nous nous sommes découverts un premier penchant commun : celui d’être tous les deux de fins museaux, autrement dit des gourmands. Chez Adeline, nous nous sommes vus attribuer la dernière table libre, et tant pis si elle était par ce froid juste à côté de la porte (toutes les autres tables étant occupées par les habitués, j’allais dire par « la famille »). Adeline (« Chez Ada ») restera mon meilleur souvenir de Bastia.

L’après-midi fut écourté par de vigoureuses et convaincantes averses de grêle, nous forçant à abréger la visite de la citadelle et à nous réfugier dans l’appartement généreusement mis à notre disposition par des amis corses. Un bijou perché sous les toits, au milieu des nids de mouettes et juste au-dessus du vieux port, mais défendu par quatre volées d’escalier presque aussi raides qu’une piste de bob.

3 Avril 2022 – BASTIA – VENZOLASCA (38km +200m)

Il fait plus que frais, ce matin, mais l’étape commence par une romantique promenade de bord de mer. Et puis, plus rien ne nous tombe sur la tête, même pas le ciel qui, ce matin, s’est lavé la frimousse. Hélas, ce qui pouvait presque prétendre au rang de piste cyclable s’achève en impasse au bout de quelques kilomètres à peine et pas d’autre issue alors que d’enfiler la route à quatre voies jusqu’au stade de Furiani. Ensuite, c’est heureusement plus plaisant : une route certes fréquentée, mais bordée d’une allée cyclable, fait le tour de la lagune de Biguglia, classée en réserve naturelle. Même si le soleil repousse inexorablement les assauts de la neige, les montagnes en robes de premières communiantes nous lancent des oeillades époustouflantes par-dessus le miroir de l’étang.  C’est simple : on se croirait presque revenus au Cap d’Antibes, avec les Alpes enneigées en toile de fond !!!

Nous déjeunons sur le parvis de la belle et sévère église romane de La Canonica (début du XIème siècle). La fin du parcours est bien moins excitante, qui nous ramène pour quelques kilomètres sur la grande route. Un dernier rond-point et nous quittons définitivement (ou presque) la civilisation, en empruntant la départementale qui s’élève vers notre premier village perché, Venzolasca. Nous ne dépasserons pas aujourd’hui les 150m d’altitude, mais nous pénétrons tout de même immédiatement dans la Corse des montagnes, celle des petits villages, celle des petites routes aussi tortueuses que désertes, celle des paysages mariant mer et montagnes, celle que nous sommes venus rechercher.

4 Avril 2022 – VENZOLASCA – ROCCA SOPRANA (38km +1130m)

Une route qui serpente et s’élève doucement en s’ouvrant à gauche sur la mer et sa ligne rectiligne d’horizon et à droite sur les découpes acérées des crêtes enneigées. Un premier col, celui de Sant’Agostino et nous voici déjà à presque 700m d’altitude. Et puis, sur chaque éperon ou replat de terrain, une église, un hameau… Tiens ! Deux vélos chargés, abandonnés devant le café du village ! Nous y rencontrons deux jeunes femmes voyageant elles aussi en deux roues, en dépit des rudes conditions météo. Un thé partagé, quelques minutes d’échanges chaleureux : tout ce qui fait le bonheur du voyage à vélo (prendre toujours le temps de…), tout ce qui dissipe le froid de la route, avant que les nôtres ne se séparent de nouveau.

Déjeuner au chaud est aujourd’hui impératif mais nous impose un petit détour par le village de La Porta, où se trouve le seul restau ouvert du coin, « U Franghju ». Les patrons seront aux petits soins pour nous, d’autant que nous sommes leurs seuls clients : leur cuisine est un vrai régal !  Pour expier ces abus gourmands nous attend la rude montée de notre troisième col de la journée, la Bocca di U Pratu, à presque 1000m d’altitude. Et comme il ne faut jamais bouder son plaisir, je m’accorde celui d’oublier un gant au pied de l’ascension (ah, la photo…), ce qui me vaut une seconde tournée gratuite de montée. Mais le vent et le froid sont tels aujourd’hui que descendre est presque plus pénible que grimper, même avec un gant retrouvé !


Heureusement, nous sommes presque arrivés au terme de notre étape, le hameau perdu et perché à 950m d’altitude de Rocca Soprana, au-dessus de Morosaglia. Quelques maisons en ruines, quelques autres restaurées, une table et des chambres d’hôtes, enfin tout autour une vue immense ouverte sur les montagnes… Et puis demain, il fera beau : le jeu des nuages nous en fait ce soir la solennelle promesse.

5 Avril 2022 – ROCCA SOPRANA – FAVALELLO (45km +640m)

Chose promise, chose due : ce matin, le soleil est revenu à la bonne humeur. L’itinéraire est une route en balcon qui enchaine les petits cols les uns après les autres et le long de laquelle se succèdent une multitude de villages et de hameaux. Au long de la journée (l’étape est courte), nous nous offrons le luxe de quelques détours aussi gratuits qu’inutiles pour rendre visite à certains d’entre eux : Castineta, Loriani, Alando. Routes et villages sont déserts. Notre seule vraie rencontre de la journée est celle d’un berger philosophe qui se laisse mener par son troupeau de brebis bien plus que le contraire. Nous croisons par ailleurs sur la route davantage de cochons et de vaches en liberté que d’humains à pied ou à quatre roues. Le soir, nous sommes redescendus à 300 m d’altitude et nous voici à 9 kilomètres seulement de Corte.

6 Avril 2022 – FAVALELLO – VEZZANI (45km +1120m)

Le lendemain, il faut commencer par remonter ce que nous avons dévalé la veille pour atteindre le village d’Erbajolo, perché à 750m. Une belle route en corniche nous conduit ensuite au village d’Altiani. Dans un coin de la petite place, un bar (le Sansonetti) est providentiellement ouvert : nous nous y engouffrons car il est temps de déjeuner. Le patron qui allait fermer l’établissement appelle son épouse à la rescousse pour nous sauver de la famine. C’est à leur seule gentillesse que nous devrons de repartir le ventre plein. Compréhension et empathie pour des touristes voyageurs, mais surtout volonté de maintenir ouvert le dernier foyer de vie et de rencontre de leur communauté villageoise. Chapeau !!!

Une belle descente ensuite, pour traverser – privilège des piétons et des cyclistes – le Tavignano sur le pont génois d’Altiani (XIVème siècle). Suivent les seuls trois kilomètres de route nationale de notre traversée de la Corse (enfin, presque !). La fin de cette étape est une belle remontée vers les villages de Noceta et Vezzani (800m d’altitude), pimentée par le retour du mauvais temps : c’est sous une p