Donnez-nous notre train-train quotidien…

Ceci est une invitation – un rien fantasque, je le reconnais – à renouer avec la façon de voyager de nos grands-parents, eux qui commençaient par enfourcher leur bécane pour gagner la gare la plus proche avant de sauter ensuite dans un tortillard brinquebalant relié au monde civilisé de la grande ville. Et ne venez pas me dire que ces petits trains de campagne – autorails diesels plus qu’antédiluviens ou fumantes machines à vapeur d’antan – ne sont pas écolos !!! Ceci est donc à la fois – qui sait ? – le récit nostalgique des temps passés mais aussi peut-être celui, précurseur, de nos voyages à venir…

Mercredi 20 Juillet 2022 (Ambert – Vorey)

Pas question de se prélasser aujourd’hui dans une quelconque matinée amoureuse : même si les seize kilomètres qui séparent la gare d’Ambert de notre buron perdu sur les pentes des Monts du Forez sont tous ou presque en descente, il ne s’agit pas de rater notre premier train !

C’est dès cet instant crucial qu’à peine commencé, le voyage se charge pourtant de révéler au grand jour – pour le meilleur comme pour le pire – différences de caractères et de comportements. Mon intrépide colistière commence par me semer dans les rues piétonnes du centre, puis, chanceusement retrouvée à la gare (ouf !), s’éclipse de nouveau dans un tour de ville de dernière minute, sous prétexte d’y déposer quelque part un sac brutalement devenu superflu. Elle ne réapparaîtra miraculeusement qu’au moment où notre autorail sifflera trois fois le rappel, balayant d’un grand sourire les affres d’angoisse dans lesquelles elle m’avait plongé…

Suivent jusqu’à la Chaise Dieu, une quarantaine de kilomètres aussi chaotiques que sympathiques. Une heure vingt de voyage ferroviaire par monts et par vaux et à travers prés et forêts, cela peut sembler certes un peu longuet et à peine plus rapide qu’à vélo. Mais il convient de savoir qu’aujourd’hui le même trajet  d’Ambert à la Chaise Dieu par les « vrais » transports en commun ne demande pas moins de 7h56 de voyage ! Ce qu’on appelle à la SNCF le progrès ou l’optimisation ont dû hélas passer par là !

A la Chaise-Dieu, impossible d’ignorer la visite de l’abbaye. Son église abbatiale et ses orgues baroques sont très beaux mais c’est surtout l’ensemble de tapisseries flamandes du début du XVIème siècle qui constitue le chef d’oeuvre exceptionnel de ce lieu. Merveilleusement restauré et exposé, il mérite de lui consacrer une bonne partie de l’après-midi, ce que nous fîmes.

C’est une demie étape qui nous attendait ensuite jusqu’à Vorey et la vallée de la Loire (34 km et + 340m de grimpette) par Bonneval, Beaumont, Jullianges et St Pierre du Champ. Comme nous tenions à tout prix à faire preuve de notre éternelle jeunesse, nous avions opté pour le camping : nos voeux furent d’autant mieux exaucés que le Mercredi y était le jour de la soirée karaoké ! Miraculeusement cependant, bien que le record du chanter faux et même archi-faux ait été largement pulvérisé, les cieux restèrent cléments et la demie-nuit qui restait ne tourna pas au déluge !

Jeudi 21 Juillet 2022 (Vorey – Saint Bonnet le Froid)

Ce matin, nous cédons aux charmes du progrès, en embarquant, pour descendre les gorges de la Loire, non pas sur une barque, ni à bord d’un tortillard, mais dans les wagons climatisés d’un TER des plus modernes. Trente minutes d’un beau trajet : pas assez cependant pour se remettre psychiquement des horreurs sonores de notre nuit agitée. A peine débarqués à la gare du Bas-Monistrol, plantée là en pleine campagne, un différent éclate donc inévitablement : Madame exige un café pour se réveiller et prétend pour cela gagner le troquet le plus proche par le chemin le plus direct, tandis que Monsieur s’en tient farouchement à l’itinéraire initial, celui des charmants chemins buissonniers pleins de tours, de détours et parfois de demi-tours des plus retors. La journée commence donc fort bien… Un cessez-le-feu (très provisoire mais avec deux sucres) sera cependant signé peu de temps après sur la table d’un café de Monistrol sur Loire.

Cependant la série noire se confirme (en dépit d’un ciel imperturbablement bleu). A la sortie du village, un sens interdit imposé par la nationale 88 nous replonge malgré nous dans le doux délice des chemins creux qui se noient dans les ornières en pleine campagne. Nous finissons par rejoindre le village de Dunières, mais c’est pour nous apercevoir alors que la batterie de ma tendre compagne se laisse aller à des épanchements qui la laissent exsangue.

Remède : la recharger le temps d’un déjeuner dans un petit restaurant (élémentaire, mon cher Watson !). Pour s’apercevoir ensuite que si notre panse s’est bien remplie, il n’en est pas de même hélas pour la batterie…. Or, l’après-midi, nous le savons, nous réserve jusqu’à St Bonnet le Froid 12 km de montée et 300 m de dénivelée… Ce qui devait arriver donc arriva : à mi-parcours, la batterie rendit l’âme sans confession, contraignant sa propriétaire à passer brutalement du cyclotourisme à la poussette, un sport qui ne réjouit en fait que les parents d’un nouveau-né et certainement pas les cyclotouristes. L’ambiance à bord devint détestable et la météo tourna au grain, voire à une mer agitée avec forte houle. Nous finîmes cependant par atteindre St Bonnet le Froid (qui en l’occurrence portait ce jour-là très mal son nom). Et quelle chance (enfin !) mais ce jour-là, nous avions réservé en gîte d’étape et non en camping avec karaoké. Cerise sur le gâteau, nous étions ce soir-là les seuls touristes, ce qui est, on en conviendra, bien plus propice pour bouder et se faire la gueule toute la soirée.

Etape de 45 km et + 990m de dénivelée

Vendredi 22 Juillet (St Bonnet le Froid – Le Cheylard)

La nuit effaça tout et nous pûmes recharger nos batteries (à l’exception cependant de la principale intéressée, source de tous nos maux et de tous nos mots). Le salut vint du conseil donné par le garagiste local, qui nous recommanda de descendre sur Tence plutôt que de rallier directement Saint Agrève : un concessionnaire de matériel agricole y louait et vendait des VAE. Il pourrait peut-être nous dépanner. Aussitôt dit, aussitôt fait : quinze kilomètres de descente en roue libre et au final, un changement de vélo providentiel pour pouvoir reprendre la route …et notre train – train quotidien !

Nous voici donc repartis, si gais et si gaillardement optimistes que ma compagne (aux anges) se risque à me suggérer un détour après le Chambon sur Lignon. C’est ainsi que nous débarquâmes à l’heure du déjeuner dans un lieu à nul autre pareil. Perdu au fin fond des forêts, l’Arbre Vagabond abrite en même temps un bar à vins et une vraie librairie. Quoi de plus propice pour signer la paix que le partage d’un bon verre et le cadeau d’un bon bouquin ?

Comme nous avions débuté l’étape par la tournée des bistrots exotiques, il eut été dommage de s’arrêter en si bon chemin : après l’Arbre Vagabond, notre halte suivante fut donc la Maison Rose, une ancienne maison de garde barrière fort opportunément reconvertie en buvette pour cyclistes (et ils sont nombreux sur la Dolce Via !!!).

Comme les jours ne se ressemblent pas, nous avions retenu l’option camping au Cheylard. Il faisait si chaud en fond de vallée que nous nous contentâmes de monter le double toit. Hélas notre bonne étoile du jour fut fâcheusement occultée au cours de la nuit par de gros nuages d’orage, assez virulents pour mouiller une bonne partie de nos affaires. Décidément, rien ne nous serait épargné des joies rustiques du camping…

Etape de 65 km et + 520m de dénivelée.

Samedi 23 Juillet 2022 :  Le Cheylard – Tournon

Du Cheylard jusqu’aux berges du Rhône, il n’y a pas de raisons de se presser et de se prendre pour un TGV. D’abord, c’est très joli et la vallée de l’Eyrieux mérite de nombreux arrêts photos. Ensuite, c’est court (48km), tout plat et donc très facile : inutile de s’affoler ! Enfin, à mi-parcours, l’ancienne gare des Ollières sur Eyrieux, transformée elle aussi en buvette, vous ouvre grand les bras de la tentation, en vous invitant à une halte gourmande qu’il serait évidemment vain de refuser.

Malheureusement, tout se gâte en arrivant dans la banlieue de La Voulte sur Rhône, où la Dolce Via, à la signalétique jusqu’alors impeccable, s’égare dans les confins labyrinthiques d’une grandiose zone industrielle, où le seul bipède rencontré et susceptible de nous renseigner était manifestement un réfugié afghan anglophone presque aussi perdu que nous… Tout cela est d’autant plus fâcheux que nous avons rendez-vous en début d’après-midi, non cette fois avec un train, mais avec un navire, celui des Canotiers du Rhône, et que celui-ci ne
dessert La Voulte qu’une seule fois par semaine !!!

Rassurez-vous ! Nous n’avons finalement pas loupé le bateau ! C’est que décharger 40 vélos à l’arrivée, puis en recharger autant avant de repartir, c’est aussi compliqué que d’émerger d’un peloton cycliste. Cela exige un certain temps, un brin de chance et pas mal de méthode. Cela fut même si long et ensoleillé que ma compagne, prétextant d’un malaise, et arguant de la vulnérabilité de son grand âge (tu parles…), obtint le privilège d’être la première à monter à bord ! Comme quoi, nul ne sert de courir, il faut toujours ruser à temps !

L’après-midi tint toutes ses promesses, celle d’une vraie croisière où la Dolce Via se prolonge en Dolce Vita. Lente remontée du fleuve, passage palpitant des énormes écluses de la Compagnie Nationale du Rhône, chasse aux petits dériveurs inconscients, le tout assorti d’un délicieux petit en-cas gourmand (encore un, mais çà ne se refuse définitivement  pas !). Plaisir décuplé – çà va de soi – par celui, un rien sadique, de voir sur les berges d’autres cyclotouristes pédaler le long de la Via Rhôna, à contre-courant et avec le vent dans le nez.

Cet enchantement prit fin brutalement sur le quai fluvial de Tournon, en plein centre-ville. Ce fut une collision de plein fouet avec la modernité et sa pollution que de rejoindre ensuite à vélo la gare du Mastrou (notre petit train du lendemain) et le camping voisin. Adieu la
Dolce Via !

Dimanche 24 Juillet 2022 : Tournon – Montregard

Aujourd’hui, finis les délices de Capoue et adieu les croisières : nous devons en effet enchaîner (et à toute vapeur, s’il vous plait !) deux tortillards justement célèbres pour leurs nuages de fumée et leurs pluies d’escarbilles. Le premier est le « Mastrou ». Reliant Tournon à Lamastre en remontant les gorges du Doux, il est de loin le plus connu et le plus fréquenté des petits trains de notre périple (c’est simple, c’était archi-comble).

Le second, moins connu mais d’autant plus ambitieux, s’est arrogé le titre pompeux d’« Express du Velay » : il part de Saint-Agrève et, sifflotant tout le long du trajet, achève son périple cahotant et chaotique dans une petite gare perdue au milieu de nulle part : Raucoules. Mais nous, on s’en moquait puisqu’on avait nos vélos en soute (oh, pardon, dans le fourgon postal !).

Pour achever le tableau de route, il convient de savoir que notre premier train était censé atteindre Lamastre vers midi tandis que le second démarrait de Saint Agrève dès 15h. Entre les deux bourgades, pas moins de 25km à vélo et plus de 800m de dénivelée positive : on imagine donc aisément le challenge et le suspense infernal de cette journée ! Dans ce cas, le mieux reste de garder sonImageImage flegme : pas question, donc, de renoncer en chemin à une petite halte-déjeuner dans le bistrot d’un charmant village médiéval (Désaignes), histoire de décrisper un peu la mâchoire des héros !

Non seulement nous arrivâmes à temps à la gare de Saint-Agrève, mais ce fut pour découvrir que, pour mieux mériter son rang d’« Express du Velay »,  le dernier wagon du train n’était rien d’autre qu’une véritable voiture bar de la Belle Epoque. Inutile de préciser Image
que nous y prîmes aussitôt nos quartiers !

Vélos et passagers débarqués 27 kilomètres plus loin, à Raucoules, il ne nous restait plus qu’à rallier le gîte réservé pour la nuit : le bien-nommé Bois du Médecin, égaré dans la forêt aux alentours du village de Montregard.  Une halte insolite et accueillante (un dôme) qui valait mille fois mieux que tous les campings 4 étoiles des jours précédents ! Eh, oui, je sais, on vieillit…

Au total,  pour cette farouche étape contre-la-montre,

Lundi 25 Juillet 2022 : Montregard – Saint Bonnet-le-Château

Cela n’est pas une évidence sur la carte, mais pour notre circuit train + vélo, Montregard représentait la croisée des chemins. Tence, où nous avions loué et changé providentiellement de monture à l’aller, est tout proche, et il nous fallait choisir : ou bien rendre le vélo de location et mettre un terme à notre aventure, ou bien trouver une solution pour continuer à pédaler et à ferroviariser (sic). Heureusement, renarde aussi rusée que patentée, ma coéquipière n’est jamais avare d’idées : elle proposa donc à notre loueur d’acheter le vélo de location, à condition néanmoins de lui consentir une bonne reprise pour l’ancien (toujours en panne !). L’affaire fut heureusement conclue, chaque partie pleinement convaincue d’avoir fait une bonne affaire, et nous reprîmes donc la route vers la vallée de la Loire… Et comme Maîtresse Goupil n’est jamais à une ruse près, arrivée à Bas-en-Basset (non, mais quel nom !!!), elle trouva le moyen d’y recharger sa batterie à l’oeil en utilisant tout simplement les prises électriques installées pour les forains sur la place du marché…

La suite de l’itinéraire, bien qu’il oblige à une remontée de presque 500m de dénivelé, fut un enchantement. On ne peut en effet que tomber amoureux du Forez lorsqu’on traverse des villages aux dénominations aussi évocatrices et poétiques que « Saint Hilaire-Cusson-la-Valmitte » (non, mais quel nom !!) ! De toute façon, arrivés là, il eut été mal venu d’émettre la moindre réserve : Saint Bonnet-le-Château n’étant autre que le berceau familial de la charmante créature qui m’accompagne dans ce rail-trip de légende. D’ailleurs, faut-il préciser que critiquer serait en outre faire preuve de beaucoup d’ingratitude :  nous y fûmes l’objet d’une hospitalité aussi généreuse que chaleureuse, de la part de cousins et cousines n’ayant pas oublié les traditions (heureuses).

Au total, pas la moindre voie ferrée à se mettre sous la roue, mais 72km et + 990m de dénivelée positive.

Mardi 26 Juillet 2022 : Saint Bonnet-le-Château – Ambert

Pour rattraper la journée d’hier, qui avait vu le ferroviaire supplanté par les transports amoureux, nous avions cette fois deux trains au programme pour pouvoir boucler notre tour du Forez (en moins de quatre-vingt jours).

En premier lieu rejoindre à vélo en finImage de matinée la petite gare d’Estivareilles, située à quelques kilomètres de Saint Bonnet le Château, et point de départ de l’autorail du Haut Forez, qui la relie au village répondant au doux nom de Craponne sur Arzon (non, mais quel nom !!!). Sans oublier – ne pas sauter cette étape ! – de saluer au passage les derniers kangourous d’Auvergne…

En second lieu, après une heure d’autorail brinquebalant, et pour varier les plaisirs, avaler hardiment à vélo les 18 km et les 500m deImage
 montée qui nous séparent de la Chaise Dieu. Sans oublier d’admirer au passage la belle église romane de Saint Victor sur Arlanc (XI-XIIe siècle) et de pique-niquer à Bonneval (qui porte bien son nom).

Ensuite, retrouver en vieux habitués la gare de la Chaise Dieu pour y embarquer dans un ultime autorail (avec étage panoramique, s’il vous plait !) et regagner Ambert, point de départ de notre boucle, par le chemin des cheminots.

Enfin, restait à remonter patiemment les seize kilomètres en direction du col des Supeyres, jusqu’au hameau du Perrier, à l’orée duquel, vidée, la batterie du vélo de Madame décida de rendre son tablier. Mais ce qui est d’ordinaire le cauchemar des cyclotouristes en vélos électriques n’avait plus aucune importance car de toute façon – adieu, vélos, batteries et sacoches ! – notre buron des Fayes ne s’atteint toujours qu’à pied ! Tout est bien qui finit donc bien !

Au total 41km et 1240 m de dénivelée positive !


PS : Navré pour les amoureux d’Yves Montand et de la petite reine mais la belle héroïne de cette émouvante romance en-cyclique ne s’appelle pas Paulette…

On a marché sur la planète rouge

Dès les premiers pas de cette itinérance, on est dans le rouge. Un rouge lie de vin unique en France, celui des « pélites », ces roches qui constituent le massif du Barrot et dans lesquelles le Var et le Cians ont creusé deux des canyons les plus spectaculaires des Alpes maritimes.

Ici, vous marchez, comme en flash-back, sur des roches âgées de 300 millions d’années : retour direct à l’époque du Permien (ou Paléozoïque). Point de montagnes, alors, mais des plaines semi-désertiques arrosées périodiquement par des pluies de mousson, qui laissaient derrière elles des étendues d’eau temporaires s’évaporant ensuite. Ces sortes d’argiles rouges ne sont devenues montagnes que bien plus tard, soulevées par l’érection des Alpes, mais elles gardent encore les marques fossilisées de ces anciennes lagunes : ces craquelures qui apparaissent sur les flaques de boue lorsqu’elle sèchent (les « mudcraks ») et ces vaguelettes semblables à celles que laisse la marée descendante sur le sable des plages (les « ripple marks »).

« Mudcraks » dans les gorges de Daluis
« Ripple marks » sous le village d’Amen

Cinquante millions d’années plus tard, c’est le début de l’ère secondaire (ou Mésozoïque). S’ouvre alors entre deux continents (le Gondwana et la Laurasie) une faille profonde (un « rift ») dans lequel un océan va venir s’installer durant la bagatelle de 200 millions d’années. Mais au début, au Trias, ce juvénile océan n’est encore qu’une mer peu profonde qui, au gré des variations climatiques, s’évapore plus ou moins, avant de submerger de nouveau la région. Cette période dépose au-dessus des vieilles pélites rouges une couche de roches claires de 10 à 30 mètres d’épaisseur. Composées de galets de grès incrustés de cristaux de quartz, ce sont les quartzites.

C’est justement au contact des pélites rouges et des falaises blanches de quartzites (donc à la jointure géologique du Permien avec le Trias) que l’on trouve des bancs exploitables de minerai de cuivre. Car nous allons le voir, les terres rouges furent longtemps un lieu de prospection et d’extraction du cuivre (on le trouve même à l’état natif, sous forme de pépites). Les traces de cette ruée vers le cuivre, qui durera surtout du XVIIème au XIXème siècle, peuvent se voir au départ même de la randonnée, au Pont des Roberts. Deux petites galeries y avaient été creusées au pied de la falaise, juste au-dessus du chemin qui part vers le hameau d’Amen.

Sur le chemin de Roua

C’est ce village abandonné en 1945 (il comptait plus de 120 habitants en 1802 !) qui est l’un des buts de notre première étape. Mais plutôt que d’emprunter le sentier le plus direct, je recommande de suivre l’ancien chemin du col de Roua (jusqu’au panneau indicateur n°115), puis de monter ensuite vers le hameau. Ce trajet en balcon est certes un peu plus rude (sur la fin), mais infiniment plus spectaculaire, offrant des vues grandioses sur les gorges de Daluis. Et puis c’est suivre ainsi l’ancienne route historique qui reliait la haute vallée du Var à la capitale du Comté de Nice, en évitant d’avoir à passer par deux fois la frontière avec la Provence (Entrevaux, ville frontière fortifiée par Vauban, appartenait à la France et appartient toujours aujourd’hui à un autre département, les Alpes de Haute Provence). Après une halte au village d’Amen, il reste à monter vers ses deux satellites, la ferme de La Collette puis le hameau du Lavigné, tous les deux juchés sur des promontoires perchés au-dessus de la vallée. Autour du village abandonné circule la légende d’une ancienne mine d’or : on comprend que la vie rude et pauvre de ces lieux perdus ait pu nourrir tous les fantasmes ! Mais, nous y reviendrons plus loin, c’est bien le cuivre qui attira ici mineurs et prospecteurs, et non un or dont personne n’a jamais trouvé trace …à moins que le secret n’en ait été très bien gardé !!!

L’église d’Amen

Pour changer des terres rouges, la seconde étape vous accordera volontiers son feu vert : elle se déroule en effet toute entière entre forêts et alpages. Pourtant le relief reste modelé par les pélites du Permien, avec de nombreux plateaux stratifiés comme des mille-feuilles en gris, rouge ou vert. Et même si la Tête de Rigaud se donne crânement la silhouette d’un cône volcanique, ce n’est que pour mieux tromper l’apprenti géologue ! Si la météo s’y prête, on peut en profiter pour se hisser par les crêtes jusqu’au point culminant du massif, le Dôme de Barrot (2136m), un belvédère magnifique. La suite n’est qu’une longue descente facile jusqu’au creux paisible du vallon de Challandre, un affluent qui s’engouffre plus bas dans les gorges du Cians. Y dénicher un endroit de bivouac bucolique n’est pas chose compliquée.

Le Dôme de Barrot
La bergerie de l’Illion

C’est une longue étape, absolument grandiose, puisqu’elle suit un itinéraire en belvédère au-dessus du profond canyon entaillé par le Cians. Une première section, en balcon au-dessus du vallon de Challandre, passe à l’aplomb des granges des Eguilles, accrochées dans la pente raide, avant de redescendre traverser le Cians en amont des gorges. C’est ensuite pour plusieurs heures de marche, une grandiose traversée à flanc sur la rive gauche du canyon, dans des paysages rouges et arides qui évoquent irrésistiblement ceux des westerns et des grands parcs nationaux de l’Utah ou du Colorado. Il ne reste plus qu’à descendre en fin de journée sur le petit village de Pierlas, juché sur un promontoire, au confluent de deux vallons. Arrivés au village, vous laisser dorloter par l’auberge du Poumie. Il est même clairement envisageable de passer là deux nuits plutôt qu’une, ce qui vous permettra d’aller, légers et reposés, explorer le sauvage vallon de la Villette et sa Balme des Morts…

         Pour reprendre le chemin mais éviter la route, je recommande de se faire transporter en voiture depuis Pierlas jusqu’au hameau de Rubi (voir notre chapitre logistique). C’est qu’ensuite vous attend la très longue remontée (1000m de dénivelée positive !) d’un vallon extrêmement sauvage, où l’on retrouve l’aridité de paysages que l’on croirait sortis (changeons les termes de comparaison !) …de l’Atlas marocain. Si l’on trouve une source (cela dépend de la saison), l’idéal est de bivouaquer en altitude, soit au collet de la Vigude (1594m), soit au petit col signalé par le poteau indicateur n°254 (1750m), soit enfin au col de Sui (1726m).

300 millions d’années…

Du haut de ces différents perchoirs, on domine tout le bassin de la rivière rouge (lors des crues !) : la Roudoule. C’est à vos pieds, à Léouvé, au coeur de ce grand cirque de montagnes qui collecte en arc de cercle les eaux d’au moins sept torrents différents, que l’exploitation du minerai de cuivre connut son plus grand développement. Cet âge d’or (si l’on peut dire en parlant de cuivre !) concerne essentiellement un gisement, le Cerisier (situé juste au-dessus de Léouvé), et il s’étale de 1860 à 1886. Une période courte, mais intense : 5 à 6 kilomètres de galeries sont alors creusées, 100 000 tonnes de minerai sont extraites qui produiront 2500 tonnes de cuivre métal. La mine du Cerisier emploiera à son apogée jusqu’à plus de 200 ouvriers. Son exploitation entrainera l’ouverture de la route entre Puget-Théniers et Léouvé (en 1878), la création d’un atelier de broyage hydraulique pour concentrer à 20% la teneur en minerai (de 1864 à 1879), puis la mise en service d’une fonderie (1879-1882), et enfin une tentative de traitement du minerai par électrolyse. Pour en finir avec le fantasme de la ruée vers l’or, il faut préciser qu’un mineur gagnait au plus 3 Francs par jour (et les femmes qu’employait la mine 1 seul Franc !) quand la viande coûtait alors 2 Francs le kilo, le pain 0,50 Francs le kilo et le café plus de 5 Francs le kilo. Pas de quoi rouler…sur l’or pour nos ancêtres. Précisons aux chauvins que les chefs d’exploitation (les « caporaux ») étaient d’origine anglaise tandis que bon nombre des mineurs et des constructeurs de galeries (payés au mètre creusé !) provenaient du Piémont italien, où ils avaient acquis l’expérience des travaux miniers.

Si cette première étape est aussi ascensionnelle que sensationnelle, la suivante l’est tout autant (sensationnelle !), mais se déroule par contre presque uniquement en descente. Elle passe par les beaux hameaux de Haute et Basse Mihubi, franchit le col de Roua et entame une longue descente sur le Var que l’on franchit juste à la sortie des gorges de Daluis. Et finis les bains de pieds (et les bains involontaires!) : une impressionnante passerelle suspendue vient d’être restaurée par la Réserve naturelle et permet de traverser désormais à sec (youpee !). Mais le mieux est à mon avis de bivouaquer au confluent du Var et du ruisseau de Talon (donc avant la passerelle).

Basse Mihubi
 

La troisième et dernière étape est la seule où vous pourrez rencontrer un peu de monde car c’est un parcours facile et classique. Elle remonte la rive droite du Var, passant bien-dessus des gorges, s’accordant une variante par le célèbre belvédère du Point Sublime (« mérite le détour » comme on dit dans les guides !), rejoint en balcon la petite route du hameau de Villeplane. Dans la descente sur le pont de Cante, il faut prendre sur la droite le sentier qui dessert le nouveau belvédère du Pont de la Mariée. Un escalier métallique tout neuf permet de rejoindre ce pont qui marque l’entrée des gorges. Il reste à regagner le pont des Roberts, notre point de départ, en suivant pénardement l’ancien tracé du tramway sur la rive gauche du Var.

Depuis Villetalle de Guillaumes

C’est ici que cette ligne de tramway reliant Guillaumes à la ligne des Chemins de Fer de Provence (à Pont de Gueydan) se séparait du tracé de la route (pour éviter le pont de Cante) et passait grâce à ce viaduc sur l’autre rive du Var. La route elle-même n’avait franchi les gorges de Daluis que 30 ans auparavant, en 1883. La ligne de tramway du Haut Var est un projet initié en 1909.  La voie était pratiquement achevée en 1912 : c’est cette année-là que le Pont des Clues (devenu en 1927 le Pont du Saut de la Mariée) fut terminé. Il ne manquait alors que l’électrification de la ligne (ce qui n’était cependant pas le plus simple). La première guerre mondiale mit tout le monde d’accord en interrompant les travaux. Lesquels ne reprirent seulement qu’en 1921 ! Non sans mal, car entre-temps, traverses et rails, non utilisés et non entretenus, s’étaient sérieusement dégradés, ce qui occasionna plusieurs déraillements.

Le pont de la Mariée

Cela n’empêcha pas une somptueuse inauguration à Guillaumes le 19 Juillet 1923. Les habitants s’en souviennent encore et le quotidien « L’éclaireur de Nice » en rendit compte avec enthousiasme dans les termes dithyrambiques suivants : «  Jamais grand express européen ne connut l’accueil que la population de Guillaumes réservait à l’humble petit tram inauguré hier. Massée sur la place du village, avec ses gardes champêtres en grande tenue, elle exultait. Elle acclamait ses deux motrices et sa remorque. Et, vêtus de velours à côtes, deux chasseurs ne cessaient de décharger leurs fusils vers le ciel. (…) Ce fut ensuite le banquet à l’hôtel Ollivier, dont le clou fut une crème Chantilly servie dans un tramway fait de biscuits. »  Hélas, le 30 Juillet, les difficultés commencèrent : le train 604 dérailla dans les gorges de Daluis (sans faire de victime)… Sept années plus tard, en 1930, la ligne fermera définitivement. Elle n’avait fonctionné que la moitié du temps qu’il avait fallu pour la réaliser…. Le désespoir collectif des Guillaumois est encore sensible aujourd’hui (celui de la fameuse mariée suicidée en 1927 n’est qu’une pécadille en regard…). On comprend mieux  l’indignation qui s’empara en 1994 de la population lorsqu’il fut question de fermer la ligne du Train des Pignes, train que personne n’utilise jamais, mais auquel  nul au monde ne voudrait renoncer.

Guillaumes : terminus de la randonnée ! Tout le monde descend !


L’auberge de Pierlas : https://aubergeloupoumie.fr

tel 09 71 72 59 65

Un week-end dans le massif des Maures (Vivants)

Comme tous les montagnards qui voient le printemps montrer le bout du nez et la neige s’éclipser sur la pointe de ses derniers flocons, je me suis mis l’autre jour à rêvasser d’un air de vélo langoureux poussé sur des rivages méditerranéens. D’ailleurs, chacun sait ici que l’hiver est le meilleur moment de l’année pour s’aventurer sur la Côte d’Azur sans avoir à se supporter ses hordes d’estivants et les mémorables embouteillages qui  conduisent celles-ci tout droit à Saint Tropez.

J’avais jeté mon dévolu sur le petit massif des Maures, sillonné de petites routes bucoliques entre vignes et chênes-liège, et de pistes forestières super-panoramiques,  interdites aux véhicules à moteur, ce qui me garantissait – du moins je le croyais – luxe, calme et volupté (je suis un fidèle disciple de Macron).

Voici le bilan de ces deux journées.

  • La superbe route des crêtes entre Roquebrune sur Argens et le col de Gratteloup (un nom qui me plaisait bien, vu de mon Mercantour !), habituellement réservée aux cyclistes et aux piétons, était ce jour-là monopolisée par un rallye automobile (un truc ringard que je croyais pourtant abandonné depuis le début du XXIème siècle).
  • La route départementale entre Grimaud et La Garde Freinet, tout en courbes opulentes, déchainait la libido de dizaine de motocyclistes défoncés qui la reconvertissent le week-end en circuit de compétition.
  • Les cyclistes n’étaient pas en reste, qui préféraient dévaler à toute berzingue et à quatre de front des routes certes plus modestes, mais le long desquelles croiser la célébre Deu-deuch du gendarme de St Tropez demandait déjà de l’attention. Ainsi sur l’itinéraire magnifique qui relie Collobrières au Col de Gratteloup (ce n’est pas le même que précédemment, mais dans le Val d’Entraunes où j’habite, nous sommes tous devenus des obsédés du loup !), on se serait cru sur la route du Ventoux au mois d’Août tant la chaussée était noire de cyclistes fluos.

Je me dois cependant d’être honnête : j’ai fini par dénicher quelques kilomètres de pistes dont les vues imprenables pouvaient être savourées dans une quiétude on ne peut plus spirituellement zen. C’est simplement que l’état de leur chaussée (elles sont volontairement non entretenues par l’ONF et par les communes), en restreigne l’accès aux seuls VTT ou aux increvables vélos de voyage comme le mien.  

Comme je ne tiens pas à passer pour un vieux bougon aigri, je terminerai ce récit sur deux notes positives :

  • Quel bonheur ineffable de rentrer d’un week-end aussi éprouvant et de retrouver le calme des routes désertes de notre haut-pays !!!
  • Je suis, je crois, le seul coupable de mes déceptions. Il faut en effet beaucoup de naïveté pour croire qu’aujourd’hui, en Février, c’est encore l’hiver sur la Côte d’Azur et que la saison touristique n’y a pas commencé. Surtout avec l’aggravation du réchauffement climatique (qui fait manifestement le bonheur des uns !). Si vous tenez vraiment à parcourir à vélo le massif des Maures, il doit encore rester, selon moi, un petit créneau paisible en Novembre- Décembre, avant la période des Fêtes. Certes, il peut pleuvoir à cette période, mais au moins n’aurez-vous pas à redouter ni le monde, ni les incendies de forêts !

Votre serviteur, Arsène Chassenouille