Lundi 13 Juin 2016
De Joué sur Erdre à Saint Perreux (Redon)
Mardi 14 Juin 2016
De Saint Perreux à Rohan
Mercredi 15 Juin 2016
De Rohan à Carhaix-Plouguer
Il a commencé à bruiner juste au moment où je suis arrivé sur les rives du canal de Nantes à Brest. Ce fut un moment magique, celui ou, de façon totalement inconsciente, j’al senti que j’abandonnais les chemins de terre pour suivre une voie d’eau. A ce moment-là je ne pouvais me douter que cette expression prendrait par la suite, certains jours, son sens marin, celui qui peut vite vous conduire droit au naufrage ! Mais peu importe. A l’instant précis où mon vélo s’est arrêté sur la berge, j’ai intuitivement perçu qu’il n’était pas de meilleure introduction qu’un canal pour pénétrer en Bretagne, ce pays assiégé par les eaux du ciel autant que par les flots de l’océan.
La rectitude (apparente) du tracé, les grands alignements d’arbres, la quiétude miroitante de l’eau, et la solitude temporaire des berges, tout donnait au canal l’évidence du seul chemin possible. Je me suis donc lancé sur le chemin de halage, libéré de la pression automobile, enivré à la fois par la platitude parfaite et par le doux grésillement des pneus sur le sable qui avait remplacé le goudron.
Ce moment d’euphorie dura seulement quelques heures, le temps que Redon ne me rappelle que cette petite ville se trouvait bien en Bretagne. J’y parvins donc sous le flot des averses…. Ma seconde étape le long du canal fut à l’unisson de la première. J’arrivais à Rohan ruisselant de pluie… Et lorsque, las des sinuosités monotones, j’osais, le troisième jour, tromper ostensiblement mon canal avec une voie ferrée à la retraite qui, au lieu de se perdre en méandres, n’y allait pas par quatre chemins, je n’en atteignis pas moins Carhaix encore une fois rincé comme une lessive. Entre-temps, j’avais appris qu’en Bretagne, à vélo, il est totalement vain de tomber la veste à chaque accalmie, celles-ci n’étant jamais plus longues que le temps d’avaler une galette ou de vider un bol de cidre…
Je ne voudrais pas cependant vous dissuader à jamais de suivre un canal à vélo. C’est ici que je parcourus ma plus longue étape (plus de 100 km), ce qui est toujours gratifiant, même sans courir après la performance. C’est ici que j’ai croisé et surtout rencontré le plus grand nombre de cyclo-randonneurs, le côté très paisible du chemin incitant bien davantage à l’arrêt et à l’échange que n’importe quelle chaussée ouverte à l’engeance automobile. Et il y a du monde sur le canal de Nantes à Brest : des réfugiés Anglais débarqués à Roscoff et qui vont noyer leur naufrage (européen) du côté des vignobles (vins de Loire ou grands Bordeaux), des Allemands descendus depuis la mer Baltique (3500 km !), et même ces deux charmantes Bretonnes (recherchant crèperie désespérément !) dont je partageais finalement le déjeuner dans le beau village de Malestroit…
Et puis, il reste surtout la beauté sereine des petites écluses et de leurs maisons fleuries, du miroir immobile où s’admirent de grands arbres, l’intimité rassurante de la lumière, tamisée par ce grand tunnel de verdure, tout ce qui contribue à faire du canal, même sous la pluie, une initiation paisible à un pays confronté sur ses autres frontières à la violence océanique.
C’est ainsi que le 15 Juin, après un mois juste de pérégrinations à vélo et – je dois ici l’avouer – une heure et demie de tricherie automobile dont la responsabilité incombe entièrement à mon amoral ami Jean Pierre Brovelli, j’atteignis l’Atlantique et la presqu’île de Crozon. J’eus le bonheur d’y faire relâche dans un mouillage privilégié, d’y recoudre mes voiles et d’y connaître quelques jours indicibles d’amitié…
Samedi 18 Juin 2016
De Crozon à Lampaul Plouarzel
Dimanche 19 Juin 2016
De Lampaul Plouarzel à Kerlouan
Lundi 20 Juin 2016
De Kerlouan à Morlaix
Mardi 21 Juin 2016
De Morlaix à Lannion
Mercredi 22 Juin 2016
De Lannion à Ploubazlanec
Jeudi 23 Juin 2016
De Ploubazlanec à Pordic
Ce matin-là, j’avais décidé de rallier Brest en coupant au plus court, c’est à dire en traversant la rade. Il faut dire que pour un cycliste presque devenu Breton ( Jean Pierre avait même réussi à me faire acheter à Crozon d’horribles bonbons chimiques Grand-Bretons, c’est dire…), si se faire charrier en voiture relève de la fraude la plus éhontée, il ne saurait en être de même du bateau, moyen de transport aussi noble qu’usuel. Je devais donc naviguer ce matin-là du Fret jusqu’au port de Brest (autant dire, pour le marin que je suis, une vraie traversée océanique).
C’était compter sans ma fidèle deux-roues, que je n’avais pas plus consultée que les autres jours, mais qui me témoigna ce matin-là son opposition ou peut-être sa peur du mal de mer (elle n’avait jamais navigué que sur la terre ferme), en se dégonflant au sens propre du terme. L’aventure commença donc par un changement précipité de chambre à air….
Elle se poursuivit lorsque, rendu anxieux par l’idée de louper le bateau, je me trompais de route au premier embranchement et parvint devant l’entrée blindée de la base de sous-marins nucléaires. Heureusement, les horaires maritimes des déménageurs bretons sont aussi aléatoires que ceux de notre Train des Pignes et je pus finalement monter à bord, en dépit de ma Rossinante renâclant des deux roues…
Ainsi commença la seconde partie de mon odyssée celtique, celle qui me fit parcourir les Côtes d’Armor de Brest jusqu’à Saint Brieuc. Je pus en outre saisir dès la sortie de la ville ce qui séparait le parcours du canal de Nantes à Brest de celui de la voie verte qui longe le littoral Nord de la Bretagne, lorsque je me suis retrouvé planté devant un détail qui sur la carte Michelin m’avait totalement échappé : un raidillon affichant un charmant pourcentage de 16%. Avec un vélo chargé, cela vous laisse, croyez-moi, le temps de réfléchir sur les raisons qui vous ont poussé là. Je ne la savais pas encore, mais j’allais avoir au cours de la semaine de multiples occasions de pousser plus loin la réflexion en même temps que le vélo…
Il convient d’ajouter aux surprises réservées par ce relief fantasque (inconnu ailleurs en France), des difficultés d’orientation que j’étais loin de soupçonner. Certes, le cyclotouriste ne court pas comme le marin le risque de s’échouer sur un récif, mais bien celui de se perdre dès lors qu’il s’écarte par mégarde de la voie verte et de ses petits jalons de même couleur. Les Côtes d’Armor sont en effet un véritable labyrinthe de petites routes toutes semblables les unes aux autres, fourmillant de panneaux signalant le plus minuscule lieu-dit (par ailleurs introuvable sur les cartes), mais n’indiquant jamais ou presque la direction du village ou du bourg le plus proche. Une vraie ruse de village gaulois pour égarer les Romains venus en camping-chars…
Je vous rassure tout de suite : j’ai surmonté tous ces obstacles et je suis arrivé à Pordic, à quelques kilomètres de Saint Brieuc, certes aussi fatigué qu’après les Alpes de Haute Provence, aussi mouillé qu’après le Massif central, mais les yeux éblouis de côtes sauvages, de petites criques et de longs abers, de superbes bourgades comme Morlaix, Lannion ou Paimpaul.
Et puis, faut-il encore le dire, j’ai bénéficié tout au long de cette semaine d’un accueil incroyable de la part de mes warmshowers bretons : Gaëtan et Martine Le Dorf a Lampaul-Plouarzel, Jean-Claude et Véronique Bernard à Kerlouan (Jean-Claude viendra même à ma rencontre à vélo sous la pluie), Vincent Dufour et Françoise Verdier dans leur très belle maison de Morlaix, Jérémy (ils sont tous adorables) Le Goff et sa famille à Lannion, Christine Laurent, capitaine d’un joli navire blanc ancré dans une rade sublime a Ploubazlanec. Il n’y a, en vérité, qu’à Pordic que je n’ai pas été accueilli (Nathalie Nowak n’est qu’une simple « amie » Facebook et non une host-warmshower confirmée, et la différence de prestations est sensible). Elle s’était contentée de déléguer la réception du touriste à son chat en laissant simplement la porte de sa maison grande-ouverte ! Mais on ne peut tout avoir, et faire le difficile quand on arrive soi-même tel un chien mouillé.
Vendredi 24, Samedi 25 et Dimanche 26 juin 2016
Pordic
Des six semaines de mon voyage, les trois derniers jours en furent à vrai dire la seule partie vraiment inoubliable. A peine avais-je mis Rossinante au garage que le beau temps pointa aussitôt le bout de son nez, ce qui m’autorisa deux splendides balades à pied. Je pus faire le plein à Saint Brieuc de moules-frites, de caramels au beurre salé, de galettes bretonnes ainsi que de boites de sardines (en prévision des jours difficiles). J’y retrouvais même, au passage, un vieil ami Grenoblois (mais authentique Breton), perdu de vue depuis des années, Christophe Charpentier. Il nous reçut si bien, ma Gentille Organisatrice et moi-même, que je réussis presque à rater mon TGV de retour. Un acte manqué hélas non mené à son terme (la SNCF fait pourtant toujours de son mieux pour éliminer les cyclistes) mais qui en disait long, comme il y a un an à Vancouver, sur ma réelle envie de rentrer au bercail…
Tous, vous avez été, jour après jour, le cœur battant de mon voyage, celui qui lui donne sens et humanité. C’est à charge de revanche, bien sûr. Mon refuge d’Estenc et mon amitié vous seront bien sûr toujours grands ouverts. Et puis, peut-on encore oser écrire çà aujourd’hui ? Mais je nous aime.