L’Odyssée bretonne

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Lundi 13 Juin 2016
De Joué sur Erdre à Saint Perreux (Redon)

Mardi 14 Juin 2016
De Saint Perreux à Rohan

 Mercredi 15 Juin 2016
De Rohan à Carhaix-Plouguer

Il a commencé à bruiner juste au moment où je suis arrivé sur les rives du canal de Nantes à Brest. Ce fut un moment magique, celui ou, de façon totalement inconsciente, j’al senti que j’abandonnais les chemins de terre pour suivre une voie d’eau. A ce moment-là je ne pouvais me douter que cette expression prendrait par la suite, certains jours, son sens marin, celui qui peut vite vous conduire droit au naufrage ! Mais peu importe. A l’instant précis où mon vélo s’est arrêté sur la berge, j’ai intuitivement perçu qu’il n’était pas de meilleure introduction qu’un canal pour pénétrer en Bretagne, ce pays assiégé par les eaux du ciel autant que par les flots de l’océan.

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La rectitude (apparente) du tracé, les grands alignements d’arbres, la quiétude miroitante de l’eau, et la solitude temporaire des berges, tout donnait au canal l’évidence du seul chemin possible. Je me suis donc lancé sur le chemin de halage, libéré de la pression automobile, enivré à la fois par la platitude parfaite et par le doux grésillement des pneus sur le sable qui avait remplacé le goudron.

Ce moment d’euphorie dura seulement quelques heures, le temps que Redon ne me rappelle que cette petite ville se trouvait bien en Bretagne. J’y parvins donc sous le flot des averses…. Ma seconde étape le long du canal fut à l’unisson de la première. J’arrivais à Rohan ruisselant de pluie… Et lorsque, las des sinuosités monotones, j’osais, le troisième jour, tromper ostensiblement mon canal avec une voie ferrée à la retraite qui, au lieu de se perdre en méandres, n’y allait pas par quatre chemins, je n’en atteignis pas moins Carhaix encore une fois rincé comme une lessive. Entre-temps, j’avais appris qu’en Bretagne, à vélo, il est totalement vain de tomber la veste à chaque accalmie, celles-ci n’étant jamais plus longues que le temps d’avaler une galette ou de vider un bol de cidre…

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Je ne voudrais pas cependant vous dissuader à jamais de suivre un canal à vélo. C’est ici que je parcourus ma plus longue étape (plus de 100 km), ce qui est toujours gratifiant, même sans courir après la performance. C’est ici que j’ai croisé et surtout rencontré le plus grand nombre de cyclo-randonneurs, le côté très paisible du chemin incitant bien davantage à l’arrêt et à l’échange que n’importe quelle chaussée ouverte à l’engeance automobile. Et il y a du monde sur le canal de Nantes à Brest : des réfugiés Anglais débarqués à Roscoff et qui vont noyer leur naufrage (européen) du côté des vignobles (vins de Loire ou grands Bordeaux), des Allemands descendus depuis la mer Baltique (3500 km !), et même ces deux charmantes Bretonnes (recherchant crèperie désespérément !) dont je partageais finalement le déjeuner dans le beau village de Malestroit…

Et puis, il reste surtout la beauté sereine des petites écluses et de leurs maisons fleuries, du miroir immobile où s’admirent de grands arbres, l’intimité rassurante de la lumière, tamisée par ce grand tunnel de verdure, tout ce qui contribue à faire du canal, même sous la pluie, une initiation paisible à un pays confronté sur ses autres frontières à la violence océanique.

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C’est ainsi que le 15 Juin, après un mois juste de pérégrinations à vélo et – je dois ici l’avouer – une heure et demie de tricherie automobile dont la responsabilité incombe entièrement à mon amoral ami Jean Pierre Brovelli, j’atteignis l’Atlantique et la presqu’île de Crozon. J’eus le bonheur d’y faire relâche dans un mouillage privilégié, d’y recoudre mes voiles et d’y connaître quelques jours indicibles d’amitié…

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Samedi 18 Juin 2016
De Crozon à Lampaul Plouarzel

Dimanche 19 Juin 2016
De Lampaul Plouarzel à Kerlouan

Lundi 20 Juin 2016
De Kerlouan à Morlaix

Mardi 21 Juin 2016
De Morlaix à Lannion

Mercredi 22 Juin 2016
De Lannion à Ploubazlanec

Jeudi 23 Juin 2016
De Ploubazlanec à Pordic

Ce matin-là, j’avais décidé de rallier Brest en coupant au plus court, c’est à dire en traversant la rade. Il faut dire que pour un cycliste presque devenu Breton ( Jean Pierre avait même réussi à me faire acheter à Crozon d’horribles bonbons chimiques Grand-Bretons, c’est dire…), si se faire charrier en voiture relève de la fraude la plus éhontée, il ne saurait en être de même du bateau, moyen de transport aussi noble qu’usuel. Je devais donc naviguer ce matin-là du Fret jusqu’au port de Brest (autant dire, pour le marin que je suis, une vraie traversée océanique).

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C’était compter sans ma fidèle deux-roues, que je n’avais pas plus consultée que les autres jours, mais qui me témoigna ce matin-là son opposition ou peut-être sa peur du mal de mer (elle n’avait jamais navigué que sur la terre ferme), en se dégonflant au sens propre du terme. L’aventure commença donc par un changement précipité de chambre à air….

Elle se poursuivit lorsque, rendu anxieux par l’idée de louper le bateau, je me trompais de route au premier embranchement et parvint devant l’entrée blindée de la base de sous-marins nucléaires. Heureusement, les horaires maritimes des déménageurs bretons sont aussi aléatoires que ceux de notre Train des Pignes et je pus finalement monter à bord, en dépit de ma Rossinante renâclant des deux roues…

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Ainsi commença la seconde partie de mon odyssée celtique, celle qui me fit parcourir les Côtes d’Armor de Brest jusqu’à Saint Brieuc. Je pus en outre saisir dès la sortie de la ville ce qui séparait le parcours du canal de Nantes à Brest de celui de la voie verte qui longe le littoral Nord de la Bretagne, lorsque je me suis retrouvé planté devant un détail qui sur la carte Michelin m’avait totalement échappé : un raidillon affichant un charmant pourcentage de 16%. Avec un vélo chargé, cela vous laisse, croyez-moi, le temps de réfléchir sur les raisons qui vous ont poussé là. Je ne la savais pas encore, mais j’allais avoir au cours de la semaine de multiples occasions de pousser plus loin la réflexion en même temps que le vélo…

Il convient d’ajouter aux surprises réservées par ce relief fantasque (inconnu ailleurs en France), des difficultés d’orientation que j’étais loin de soupçonner. Certes, le cyclotouriste ne court pas comme le marin le risque de s’échouer sur un récif, mais bien celui de se perdre dès lors qu’il s’écarte par mégarde de la voie verte et de ses petits jalons de même couleur. Les Côtes d’Armor sont en effet un véritable labyrinthe de petites routes toutes semblables les unes aux autres, fourmillant de panneaux signalant le plus minuscule lieu-dit (par ailleurs introuvable sur les cartes), mais n’indiquant jamais ou presque la direction du village ou du bourg le plus proche. Une vraie ruse de village gaulois pour égarer les Romains venus en camping-chars…

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Je vous rassure tout de suite : j’ai surmonté tous ces obstacles et je suis arrivé à Pordic, à quelques kilomètres de Saint Brieuc, certes aussi fatigué qu’après les Alpes de Haute Provence, aussi mouillé qu’après le Massif central, mais les yeux éblouis de côtes sauvages, de petites criques et de longs abers, de superbes bourgades comme Morlaix, Lannion ou Paimpaul.

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Et puis, faut-il encore le dire, j’ai bénéficié tout au long de cette semaine d’un accueil incroyable de la part de mes warmshowers bretons : Gaëtan et Martine Le Dorf a Lampaul-Plouarzel, Jean-Claude et Véronique Bernard à Kerlouan (Jean-Claude viendra même à ma rencontre à vélo sous la pluie), Vincent Dufour et Françoise Verdier dans leur très belle maison de Morlaix, Jérémy (ils sont tous adorables) Le Goff et sa famille à Lannion, Christine Laurent, capitaine d’un joli navire blanc ancré dans une rade sublime a Ploubazlanec. Il n’y a, en vérité, qu’à Pordic que je n’ai pas été accueilli (Nathalie Nowak n’est qu’une simple « amie » Facebook et non une host-warmshower confirmée, et la différence de prestations est sensible). Elle s’était contentée de déléguer la réception du touriste à son chat en laissant simplement la porte de sa maison grande-ouverte ! Mais on ne peut tout avoir, et faire le difficile quand on arrive soi-même tel un chien mouillé.

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Vendredi 24, Samedi 25 et Dimanche 26 juin 2016
Pordic

Des six semaines  de mon voyage, les trois derniers jours en furent à vrai dire la seule partie vraiment inoubliable. A peine avais-je mis Rossinante au garage que le beau temps pointa aussitôt le bout de son nez, ce qui m’autorisa deux splendides balades à pied. Je pus faire le plein à Saint Brieuc de moules-frites, de caramels au beurre salé, de galettes bretonnes ainsi que de boites de sardines (en prévision des jours difficiles). J’y retrouvais même, au passage, un vieil ami Grenoblois (mais authentique Breton), perdu de vue depuis des années, Christophe Charpentier. Il nous reçut si bien, ma Gentille Organisatrice et moi-même, que je réussis presque à rater mon TGV de retour. Un acte manqué hélas non mené à son terme (la SNCF fait pourtant toujours de son mieux pour éliminer les cyclistes) mais qui en disait long, comme il y a un an à Vancouver, sur ma réelle envie de rentrer au bercail…

Tous, vous avez été, jour après jour, le cœur battant de mon voyage, celui qui lui donne sens et humanité. C’est à charge de revanche, bien sûr. Mon refuge d’Estenc et mon amitié vous seront bien sûr toujours grands ouverts. Et puis, peut-on encore oser écrire çà aujourd’hui ? Mais je nous aime.

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Du château de ma mère aux châteaux de la Loire

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Mercredi 8 Juin
De Saint Gaultier a Lesigny (la Brenne et la vallée de la Creuse)

La voie verte est-elle vraiment la bonne ? Je savais que la vallée de la Creuse s’était offerte le luxe d’une « voie verte », ce nec plus ultra du tourisme branché que même notre French Riviera n’a pas encore. Autrefois, ça s’appelait plus simplement une piste cyclable, mais il faut reconnaître que c’était beaucoup moins vendeur (encore que les scores électoraux des Verts remettent en cause, selon moi, cette brillante théorie marketing).

Cette fameuse « voie verte » de la Creuse, je l’avais même dénichée sur Internet, avec le tracé et un dépliant prometteur. Ainsi informé, je l’ai cherchée, aussi tôt atteints les premiers villages qu’elle devait traverser. En vain.

Vexé comme un guide professionnel ne trouvant pas son chemin, je me suis présenté à l’Office du Tourisme d’Argenton sur Creuse, ou deux affriolantes hôtesses m’ont informé avec de grands sourires professionnels que le projet n’avait – sur le terrain – que deux ans de retard, mais que j’allais enfin trouver ma voie (verte) à partir de la gare SNCF d’Argenton.

C’était exact. Les petits panneaux au vélo vert étaient cette fois au rendez-vous et j’ai pu les suivre fidèlement. Ils m’ont fait descendre un escalier (avec mon poids-lourd à deux roues de 40kg), grimper une côte inutile, me perdre dans un dédale de petites rues et de chemins…. Une heure plus tard, j’atteignis enfin le départ de l’ancienne voie ferrée empruntée au bout du compte par notre itinéraire cycliste.

C’était effectivement paisible, ombreux et protégé de tout trafic (j’y croisais seulement deux autres bicycles et bien sûr aucun véhicule à moteur). Mais, encerclée parle la végétation, ne croisant, pour tout village que des maisons de garde-barrière désaffectées, la fameuse Voie verte dont la platitude n’avait d’égale que les discours de nos élites, ne tarda pas à m’emm….. au-delà du raisonnable. Notre brève aventure sentimentale (elle n’avait duré qu’une trentaine de kilomètres) prit fin devant l’ancienne gare délabrée de Saint Gaultier, qui offrait justement le cadre tragique de circonstance pour une séparation.

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C’est ainsi que j’échouais dans un petit hôtel, la Promenade, reflet parfaitement fidèle du déclin de ce bourg, qui fut prospère jusqu’à ce qu’une déviation de la Nationale en détourne les Anglais de passage (Que Sainte Rita protège à jamais les Niçois de ce triste sort : la fin des bagnoles sur notre sacro-sainte Promenade).

Ce qui fut à la Belle Époque une auberge de campagne florissante est aujourd’hui une caricature d’hôtellerie à bout de souffle. La tenancière – charmante au demeurant – était aguichée comme une mère-maquerelle à la retraite. La poignée de douche me tomba sur les orteils au moment précis où la salle de bains plongeait dans l’obscurité, le réseau électrique de l’établissement ayant soudain décidé de peter un plomb. Le dîner, en compagnie de quelques rares clients disséminés au sein d’une immense salle de banquets, fut à l’image du reste, c’est à dire passé du gastronomique d’antan (enfin, je me l’imaginais) au purement alimentaire.

Mais c’est le signe du vrai voyage que de vous conduire à une acceptation de la réalité proche du fatalisme oriental. Ainsi ma nuit à Saint Gaultier devint-elle finalement l’un des grands moments de mon périple…

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Le lendemain, j’abandonnais sans remords la voie verte aux orties et la Promenade de Saint-Gaultier à sa décrépitude pour m’aventurer sur les petites routes de la Brenne, une région constellée d’étangs et devenue aujourd’hui un parc naturel régional. C’est là que je devais faire la rencontre de mon voyage, de celles qui vous marquent à jamais…

Appelons-la Ursule, pour respecter son droit à la vie privée. Nos chemins se sont croisés d’autant plus fatalement ce jour-la qu’Ursule traversait la route sur laquelle je fuyais Saint Gaultier à toutes pedales… J’évitais le choc frontal de justesse, tandis qu’Ursule, tétanisée de terreur, restait recroquevillée, immobile et tremblante au milieu de la chaussée. Malgré mes excuses réitérées, on comprend que la belle ait été longue à se décrisper et à sortir de sa coquille. Je la transportais sur le bord de la route, en sécurité, et c’est là, chacun ayant repris ses esprits, que nous fimes plus ample connaissance.

Ursule faisait un périple exactement semblable au mien, mais en traversant la France d’Ouest en Est (d’où notre rencontre fatale au centre de la France), et à sa façon. Écologiste bien plus militante que moi, elle récusait en effet tout moyen mécanique, y compris le vélo, et avait choisi de cheminer encore plus lentement, en utilisant seulement les moyens dont la nature l’avait dotée. De plus, loin de recourir comme moi à des auberges plus que douteuses pour se loger, elle voyageait en autonomie totale, transportant tout sur son dos. En bref, j’étais battu à plate couture en matière de voyage écolo et contemplatif. Tombé sous son charme, j’invitais Ursule à faire un bout de chemin en commun, offre qu’elle déclina avec une grande délicatesse. Elle me salua en souriant, m’adressa un clin d’œil et reprit paisiblement sa marche, disparaissant dans les herbes folles du bord de route.

Pris par l’émotion de cette rencontre, je m’aperçois seulement maintenant qu’il manque une précision à mon récit : Ursule est une cistule, c’est à dire une tortue d’eau douce à la beauté discrète. C’est une espèce protégée, et à juste raison. Elle ne se dépense pas en paroles inutiles, mais sa sagesse pacifique dépasse largement la nôtre. Quant à son mode de vie, il est un modèle de simplicité dont nous pourrions nous inspirer en matière de décroissance…..

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Pour me remettre de ces émotions, je m’arrêtais boire un coup sur la jolie petite place d’Angles sur Anglin, occupée jour et nuit debout par un joyeux groupuscule d’ivrognes bohèmes critiquant joyeusement le monde à défaut de le refaire, et se décochant à qui mieux mieux des chapelets d’insultes bourrées d’affection.

Je repartis ensuite me réfugier chez mes hôtes Warmshowers du jour, Pierre et Christine, deux personnalités fortes et originales. Ils accueillent les cyclistes sans pratiquer le vélo, ont un petit troupeau de brebis sans être pour autant éleveurs et soignent leurs ruches sans être apiculteurs. Mais que leur demeure – l’ancienne ferme familiale en bord de Creuse – est belle et accueillante….

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Jeudi 9 Juin 2016
De Lesigny à Lerne (de la Creuse au Val de Loire)

Vendredi 10 juin 2016
De Lerne à Saumur

Samedi 11 Juin 2016

De Saumur a Chalonnes sur Loire

Dimanche 12 Juin 2016
De Chalonnes sur Loire à Joué sur Erdre

De cette patiente descente des vallées de la Creuse, de la Vienne, et enfin de la Loire, je ne retiens que le souvenir de journées lumineuses, légères et insouciantes. Comme un retour à une certaine douceur de vivre après la dureté des montagnes et l’intensité des émotions dans ma contrée natale… Bref, c’était presque la vie de château (de la Loire)

En fait, je suis simplement redevenu voluptueusement un touriste parmi d’autres. J’ai visité le château de Chinon, la ville de Saumur et la glaciale abbaye de Fontevraud, poussé avec curiosité la porte de quelques vins de Loire, franchi de grands ponts pour le seul plaisir de m’extasier devant la largeur du lit et la force impassible du courant. J’ai salué au passage d’autres cyclotouristes, devenus subitement aussi nombreux qu’ils avaient été rares précédemment. Je me suis arrêté pour admirer les barques attachées sur les berges, l’ajustement parfait des maisons troglodytes taillées dans les falaises, la floraison exubérante des jardins… Je me suis laissé mener en bateau par le balisage qui m’a plusieurs fois laissé le bec dans l’eau de la Loire à vélo, du fait des inondations. Mais même celles-ci n’avaient jamais rien de tragique ou de menaçant…

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C’est au cours de ces journées paisibles et douces à vivre que j’ai définitivement sacrifié mon indépendance de cyclotouriste aux douces tentations des douches chaudes offertes chaque soir par des hôtes chaque soir différents mais toujours également attentionnés. Je ne peux taire plus longtemps la lourde responsabilité qu’ont exercé dans cet irrémédiable processus de relâchement de mes mœurs cyclotouristes les Cherriau à Lerne, la famille des veloasix ( les Tanguy) et leur incroyable arche de Noé échouée sur une île en face de Chalonnes sur Loire, puis les Bizeul, arrivé aux portes de la Bretagne. En tout cas, Si vous voulez rester un vrai routard solitaire fièrement perché sur son destrier à deux roues, évitez surtout de fréquenter ces membres de Warmshowers…

C’est ainsi qu’un beau Dimanche 12 du mois de Juin, j’ai franchi une dernière fois la Loire et envahi la Bretagne…. Je n’avais bien évidemment aucune idée de ce qu’allait me réserver cette contrée étrange…

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De la pluie aux larmes

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Vendredi 3 Juin
De la Godivelle (Cezallier) à Saulzet le Froid (Puy de Dôme)

Une étape ou l’on glisse sans s’en rendre compte d’un monde rude, désertifié, aux routes quasiment vides, vers une région plus humanisée, où réapparaît un flot automobile régulier, et que la résurrection, même parcimonieuse, du soleil rendrait presque riante. La transition se fait de façon si ténue, si progressive, qu’il est presque impossible de dire à quel endroit précis situer ce changement d’atmosphère : Besse en Chandesse, peut-être, bourg montagnard ayant accouché d’une station et donc cédé aux tentations de la modernité ?

En tout cas, je me sentais bien mieux, perdu et solitaire dans les brouillards du Cezallier que sur la grand-route qui conduit à Clermont-Ferrand, même si le trafic est loin d’y être traumatisant…

Pour rendre un peu de sa sociabilité au vieux bougnat que j’étais devenu au fil de la semaine, il m’a suffit, comme par enchantement, de rencontrer les sourires et l’accueil de Sarah et Vincent, deux jeunes médecins de Clermont volontairement installés en milieu rural, mais avec la ferme intention de ne pas transformer leur vie de « médecins de campagne » en sacrifice et sacerdoce. Ce fut une soirée lumineuse, toute rayonnante de leur amour et de leur optimisme. Mais je m’aperçois que j’ai oublié de préciser deux détails essentiels : leur voyage de noces les avait conduit (à vélo, bien sûr) jusqu’aux portes du Bosphore et, trois jours après mon passage, je recevais d’eux le faire-part de naissance d’un petit Marius… La capacité d’ouverture aux autres de certains membres de Warmshowers n’a pas fini de m’étonner….

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Samedi 4 Juin 2016
De Saulzet le Froid au Pont du Bouchet (traversée du Puy de Dôme)

Au matin, l’Auvergne restait fidèle à elle-même : un brouillard épais rampait sur la chaîne des Puy de Dôme. Il ne pleuvait plus, mais c’était exactement ce genre de temps ou l’on transpire à fond dans les montées parce qu’on n’a pas retiré sa polaire (par peur de prendre froid), et où l’on prend froid dans les descentes car une polaire ne vaut jamais un bon coupe-vent….

Certes, le plafond des cieux auvergnats ne se leva guère ce jour-là, mais je perdis lentement de l’altitude et pus donc sortir progressivement la tête des nuages. C’est ainsi que je m’esquivais discrètement du Massif Central en dévalant les petites routes secrètes de la vallée de la Sioule. Tout comme je l’avais fait dans les Cévennes, j’y dénichais un superbe petit village du bout du monde, Montfermy, dominé par une émouvante église romane ornée de fresques du XIV°s de toute beauté.

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Dimanche 5 Juin 2016
Du Pont du Bouchet (Puy de Dôme) à Boussac (Creuse)

Ce fut le début de ma plongée en enfance profonde. Un frénétique rétro-pédalage de 90 kilomètres qui me conduisit dans une chambre d’hôtes située – quel hasard – à quelques kilomètres d’un lieu emblématique de mon enfance (et complètement oublié depuis) : les Pierres Jaumatres, à côté de Boussac. Il s’agit d’une colline haute de 590 mètres d’altitude et surmontée d’un amoncellement de quelques gros blocs de granit curieusement érodés. Rien de très fabuleux, vraiment.

Mais, vus du Bas-Berry et avec le regard d’un gosse enragé de vélo et d’inconnu, cette altitude et ces rochers incarnaient en même temps le début des montagnes et la limite du monde connu. Celui-ci correspondait en effet à ma capacité quotidienne de rayonnement cycliste (une cinquantaine de kilomètres maximum autour du village familial). Bref, les Pierres Jaumatres et les collines de la Creuse étaient ma Patagonie d’enfant.

Ce soir-là, je n’avais rien prévu, ni réservé comme hébergement, et pourtant j’ai terminé mes 90 kilomètres  dans une belle ferme, juste au pied des fameuses Pierres Jaumatres… Le hasard n’existe pas.

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Lundi 6 Juin 2016
De Boussac (Creuse) à Mers sur Indre (Bas Berry)

Évidemment, descendre vers la vallée de l’Indre et vers La Châtre, le bourg berrichon où je suis né, ne me demanda que quelques heures. J’eus à cœur, pour se faire, de reprendre toutes les petites routes tant de fois arpentées gamin. Là, il n’y eut pas la moindre déception. Certes, les haies du bocage sont un peu moins hautes qu’autrefois, mais les petites routes sont toujours fidèles à elles-mêmes, aussi fraîches qu’inutilement tortueuses.

Pourtant, je n’ai pu faire comme autrefois ce que ma mère n’a jamais su, et emprunter à vélo la petite trace qui jouxtait la voie ferrée. C’était interdit, bien sûr, et donc mille fois plus excitant que de suivre la route. Et puis, les trains – même les petits autorails de campagne qui reliaient Châteauroux et Montluçon – étaient la porte ouverte sur l’ailleurs, sur le voyage, sur l’aventure…
J’empruntais donc toujours ce chemin interdit qui longeait la voie ferrée et m’emportait vers d’autres mondes (de toute façon, il n’y circulait que 4 trains par jour). Cette fois, ce fut impossible. La voie ferrée est toujours là, mais elle est à la retraite depuis bien des années et disparaît sous les ronces et les herbes folles. J’apprendrai que le département avait envisagé de la transformer en voie verte, histoire de lui rendre un peu de sa dignité, mais que les communes avaient été incapables de parvenir à un accord….

L’après-midi, après être passé par Nohant, le village de Georges Sand, je suis arrivé à Saint Chartier, où ont vécu ma mère, ma tante, et ma grand-mère, qui y tenait le bureau de tabacs. J’avais à l’origine envisagé d’y passer la nuit – il y a des chambres d’hôtes – avant de m’apercevoir que des Warmshowers se cachaient dans un village voisin, à Mers sur Indre.

Heureusement ! Car si les murs et les maisons du village de mon enfance sont toujours bien là (et souvent même, en bien plus pimpants), les hommes sont partis. Deux boulangeries, trois épiceries (ou nous piquions allègrement des caramels à un sou), deux ou trois bistrots, un boucher-charcutier, la poste, la gendarmerie, le coiffeur, le maréchal-ferrant, le garagiste, sans parler du fameux bureau de tabacs grand-maternel : de tout celà, il ne reste plus rien. Le château, entièrement restauré, ne domine plus qu’un village sans âme….

Je suis parti me réfugier chez un couple attachant d’artistes bohèmes. Chez eux, c’était tout le contraire. Ils se moquaient des apparences, mais respiraient la vie, l’échange et la création…

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Mardi 7 Juin 2016
De Mers sur Indre à Saint Gaultier (vallée de la Creuse)

La dernière étape de ce flash-back berrichon me fit passer par le cimetière de Gournay, le tout petit village natal de ma mère, où elle a tenu à se faire inhumer aux côtés de son père, mort des suites de la Grande Guerre (comme on disait avant la suivante….).

Ce moment de recueillement – je ne suis pas porté sur les commémorations, surtout lorsqu’elles sont socialement codifiées comme pour la Toussaint – ne regarde que moi. Par contre, je voudrais en quelques lignes rendre hommage non seulement à ma mère, mais à ma tante et à ma grand-mère, simplement parce que je pense que, chacune à leur façon, elles ont été à leur époque de vraies femmes d’avant-garde.

Ma grand-mère, veuve de guerre et ne pouvant assumer seule la gestion d’une grosse ferme, choisit un emploi de buraliste afin d’ assumer seule l’éducation de ses deux filles, à une époque où il était bien plus facile et logique de refaire un mariage de raison pour sauver l’exploitation familiale.

Ma tante fut la première femme qui osa s’acheter seule, avec sa paye d’ouvrière du textile, sa voiture personnelle (une 4CV Renault, exactement la même que son mari). Si aujourd’hui, deux voitures par couple est devenu quasiment la norme, je vous laisse imaginer la portée d’un tel geste en milieu rural dans les années cinquante….

Ma mère se hissa à coup de bourses de pupille de la Nation jusqu’à l’Ecole Normale d’instituteurs, puis milita dans les Auberges de Jeunesse (alors mouvement très à gauche), avant d’oser, dans les années cinquante, demander elle-même le divorce pour élever seule ses deux enfants…

Dans cette famille aujourd’hui éteinte, ces trois caractères indomptables qui plaçaient leur liberté et leur vie personnelle avant tout, retracent pour moi toute l’évolution de la condition des femmes dans notre pays. Ainsi vécut ma mère, femme libre, jusqu’à son dernier souffle de vie. Un hommage, triste et joyeux à la fois, devait lui être rendu.

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