À chaque fois qu’un voyageur se pose quelque part, s’arracher au confort et à la sérénité de la halte pour retrouver la route et ses inconnues demande un effort. Ce fut plus que jamais le cas pour moi à Uyuni, car j’y laissais derrière moi deux rencontres fortes et chaleureuses, de celles qui marquent un voyage. C’est pourquoi, avant de reprendre mon chemin solitaire, je voudrais leur rendre hommage et leur dire combien les quelques jours passés avec eux m’auront été précieux.
D’abord la famille des Ribouldingues à vélo (alias les Geray-Guyot, « Aime ta terre » sur Facebook). Je me suis tout de suite senti à l’aise avec toute la tribu, notamment en ce qui concerne leurs rapports avec leurs gosses. Une nuit en refuge, une demi-journée en vélo sur le Salar, des pizzas partagées un soir, quelques courses le lendemain sur le marché et une après-midi d’escalade sur les squelettes du cimetière de locomotives, celà suffit avec des personnalités comme les leurs pour fonder une amitié. J’aime chez eux cette folie douce qui les rend capables de vivre leurs rêves à fond et pour de vrai, avec le mélange quotidien d’utopie et de réalisme que cela implique (la tête dans les nuages mais les pieds bien par terre). Peu de gens en sont capables. Nous nous reverrons, j’en suis sûr…
Ensuite, connaissez-vous une auberge – en France ou ailleurs – dont la patronne vous offre un jus d’orange à votre arrivée, puis refuse de vous faire payer la lessive de votre linge, dont le patron, en guise de bonjour, vous offre subrepticement un beau matin un CD des groupes locaux, et dont tous les deux, au moment du départ, se plient en souriant au cérémonial des photos souvenirs ? Leur hospedaje est un peu à l’écart du centre-ville. Il brille plus par la fraîcheur et la gaité de sa décoration que par son confort ou le charme de son architecture. Mais aucun autre établissement de la ville ne peut rivaliser ni avec leurs petits-déjeuners, ni surtout avec leur gentillesse, leur disponibilité et leur générosité. Ah ! J’allais oublier : leur pension porte le joli nom de Quinua Dorada (le Quinoa Doré). C’est à croquer, non ? Nous ne nous reverrons sans doute pas. Mais je vous garderai toujours comme un exemple au fond de mon cœur, vous qui m’avez reçu, parce que seul et à vélo, comme si j’étais vraiment un ami ou un membre de votre famille.
Dire au revoir à Uyuni ne fut donc pas facile. D’autant qu’à la différence de la plupart des guides, j’ai trouvé cette ville infiniment plus vivante, plus attachante et surtout plus authentique que San Pedro de Atacama. Certes, comme la plupart des villes ici, c’est du brut de décoffrage et la petite cité – telle un immense chantier de constructions anarchiques – manque assurément de la douceur et du charme rétro-hippie de sa concurrente chilienne. Mais le tourisme n’y est qu’un élément d’activité parmi d’autres et Uyuni joue réellement son rôle de chef-lieu d’un arrière-pays rural bien vivant. On y vend sur son marché des produits agricoles locaux (pour moi, ce sera carottes, tomates et fromage) quand celui de San Pedro n’offre plus que de l’artisanat et des souvenirs…
Heureusement, la route qui relie vers le Sud Uyuni à Tupiza (200km) est entièrement asphaltée de frais et débute par un plat long de plusieurs dizaines de kilomètres. Celà facilite la reprise… et, en prime, personne ou en tout cas, très peu de monde (youpee !). Tout autour – nous sommes à 3700m d’altitude – c’est la limite entre le désert (il y a même des dunes de sable, où des lamas jouent les dromadaires) et l’altiplano avec sa végétation sèche et rase.
Je pédale donc allègrement lorsque j’aperçois, sur une piste parallèle à la route un 4×4 manifestement ensablé. Hélas pour moi, ce n’est pas un bourgeois de la Prom’ s’encanaillant à jouer en Range Rover les aventuriers de l’Arche perdue, mais un modèle anti-diluvien de Toyota avec son couple de paysans du crû. Je ne peux donc décemment que les aider. Nous voici donc en train de pelleter du sable et de hisser périlleusement les roues arrière à l’aide du cric, afin de glisser délicatement dessous des pierres et des branchages. Nos efforts communs durent déjà depuis largement plus d’une demi-heure quand un minibus s’arrête sur la route. En descendent une dizaine de gros bras, suffisamment larges et trapus pour calmer une demie brigade de nos CRS. Là, évidemment, je ne peux plus faire, avec mes petits mollets de cycliste, que de la figuration. L’affaire est expédiée en quelques minutes et trois coups de « hisse-et-ho ». Il n’empêche que me voici soudain traité en héros, moi le petit cyclotouriste français, simplement parce qu’un gringo à vélo – et donc forcément un peu fêlé – s’est arrêté pour aider l’un des leurs . À défaut de champagne, ils m’offrent deux litres d’eau potable – un vrai trésor d’ailleurs sur cette ruta del desierto…
Mais ce n’est pas la seule surprise que me réservait cette route vers l’Argentine ! Je pourrais parler des deux pré-ados juchés sur des vélos brinquebalants qui partagèrent mon pique-nique et me firent un bout de conduite, d’autant plus volontiers qu’ils pouvaient allègrement caracoler autour de mon poids-lourd surchargé.
Je pourrais aussi mentionner le fait qu’après 65km sans histoires et sans reliefs, la route se transforma peu à peu en un immense chantier, avec les innombrables déviations en terre et en sable que cela impliquait. Celà me valut de descendre sur une piste chaotique la superbe vallée du Rio Chocaya, cousin colombien par sa couleur du Rio Tinto andalou. Celà me valut aussi de terminer cette première et longue étape vers l’Argentine par une réjouissante séquence de poussette. Celà m’acheva physiquement, mais me permit de dénicher au-dessus d’Atocha un superbe emplacement de bivouac avec vue imprenable.
Heureusement, je ne pouvais, ce soir-là, savoir que l’étape suivante, jusqu’à Tupiza, serait infiniment pire… Peu après, en effet, l’altiplano et ses grandes étendues monotones cèdent la place à un relief beaucoup plus morcelé et tourmenté. La route s’élève jusqu’à 4200m, avant de plonger vertigineusement au creux d’un profond ravin. Une fois, deux fois, trois fois. C’est magnifique, mais d’autant plus éreintant que les deux tiers environ de l’étape se dérouleront sur d’infernales déviations en terre accompagnées de multiples traversées à gué. Ma progression sera si lente que je me suis retrouvé pris par la nuit sur l’une de ces pistes, à une dizaine de kilomètres encore de Tupiza. Camions et voitures, plus nombreux près de la ville, soulèvent des flots de poussière qui, dans la lumière de leurs phares, rendent la visibilité quasi nulle. Et, cerise sur le gâteau, la route se remet à monter…
Tesson a bien décrit dans l’un de ses bouquins – il parlait, lui, d’un interminable vent de face – ce qui mute alors curieusement en nous. L’épuisement et la souffrance s’effacent mystérieusement, éclipsés par une sorte de rage vitale qui nous fait puiser de nouvelles forces comme au-delà de nous-mêmes. J’avais beaucoup peiné au cours des dernières longues montées de l’après-midi – plus de 1200m de dénivelée et 90 km depuis le matin -, mais je me suis mis à avaler cette dernière côte cent mètres par cent mètres, dans la nuit noire, obligé de m’arrêter après chaque camion, pour attendre que la poussière ne retombe et que mon parcimonieux lumignon n’éclaire un peu le bord de la piste. La rage m’a propulsé jusqu’au sommet de la côte et la chance m’a ensuite accompagné dans la descente. J’ai d’abord pu suivre jusqu’à l’entrée de la ville un énorme camion grue qui descendait prudemment en première, donc à ma vitesse, et qui m’éclairait la route (mais lui n’avait pas de feux arrière !). Parvenu dans les faubourgs de Tupiza, sans bien sûr le moindre panneau indicateur et sans éclairage public, j’étais penché sur mon GPS et mon téléphone mobile (maps.me) quand mon salut – improbable – vint d’un brave chauffeur de taxi qui me remit sur le droit chemin (m’accompagnant même pour vérifier que j’avais bien pigé) . Il faut dire qu’à Tupiza, les taxis sont très nombreux – la ville est étendue et les transports en commun inexistants – mais les cyclotouristes sont très rares, et, de nuit, probablement davantage encore que les Ovnis… C’est ainsi qu’après plus de cent kilomètres dont soixante au moins de déviations aussi calaminées que calamiteuses, je poussai enfin la porte de mon hostal. Il était vingt heures passées et j’avais démarré cette étape à huit heures du matin… Je vous le redis : ici, prévoir un itinéraire, c’est simplement émettre un vœu. Et puis, un dernier conseil : venez faire cette route – magnifique – d’ici deux ans. Les travaux seront terminés et vous roulerez sur un vrai billard (à péage, car rien n’arrête le profit ).
Même si ma dernière étape bolivienne fut plus paisible, voire presque ennuyeuse (du bitume tout du long, pas un seul chantier et pas une déviation ! ), elle me réserva tout de même son petit imprévu, puisqu’à la sortie de Tupiza, mon élan matinal se heurta à un barrage routier, manifestation populaire spontanée contre la pénurie et les dysfonctionnements du service des eaux. J’assurai les manifestants du soutien unanime de la nation Française et on laissa donc son éminent représentant à vélo franchir le barrage…. avec le privilège de rouler ensuite sur une route déserte ! Ma seule et dernière rencontre bolivienne de la journée eut lieu dans le cadre providentiel d’un abribus choisi pour protéger mon pique-nique des nuées menaçantes : celle d’un jeune qui attendait avec fatalisme depuis le matin une place libre dans l’un des rares minibus en circulation et qui considérait comme une aubaine inespérée – en cette journée déjà gâchée pour lui – de pouvoir tailler une bavette avec un étranger aussi bizarre.
Un grand bonjour De Gégé/Cricri et surtout Guylaine qui tient à te faire un gros bisou et nous a fait jurer hier d’utiliser ce machin diabolique de communication qu’elle ne veut surtout pas approcher pour te dire qu’elle espérait que tu te réjouissais dans ce voyage.
Nous, on continue à se régaler de tes écrits et Gégé a la carte détaillée sur le bureau, évidemment
Bise
Bonjour et bises à tous, et évidemment d’abord à la fringante célibataire des Tourres
Vous ne pouvez savoir quel bonheur c’est de recevoir sur la route des nouvelles de tous ceux qui me sont chers.
La prochaine fois, ce sera Colombie -Équateur – Perou – Bolivie : vous venez ?
Big bisous
Justement hier, Gégé vantait ta condition physique et admirait ta ténacité.
Je me souviens qu’on a démarré ensemble le vélo électrique que tu as vite abandonné, toi!
D’ailleurs moi aussi, il est au garage.
Pourquoi pas Colombie-Bolivie…Mais avant ce sera le Cap Vert.
Alors, on t’attend pour la traversée de l’Himalaya, d’Est en Ouest en 3/4 mois dans 2 ans?
J’ai trouvé une route moyenne montagne qui ne monte pas trop haut, enfin…
Tu as l’air de bien supporter l’altitude, ah la chance!
Votre aventure devient la seule oasis d’espoir et de plaisir dans le désert de ma solitude urbaine bercée par les bruits de la rue et lorsque je ferme la fenêtre, l’attrait du rectangle de l’écran de l’ordinateur.
Celui-ci après mes heures quotidiennes d’écriture, me balance dans la tronche des images de violence, des mots dont la brutalité me fait peur, qu’ils soient écrits, criés, vomis ou chantés. On n’entend plus que des rumeurs de fin du monde ou de fin des temps comme si l’on se trouvait noyés dans l’obscurantisme et les superstitions du Moyen-Age.
J’admire vos efforts et votre ténacité. Ils vous semblerons doux et même suaves lorsque vous réintégrerez le monde dit « civilisé »… qui n’en finit pas de s’écrouler sous le poids de ses turpitudes sans parvenir à mourir dans l’espoir de renaître peut-être… après quelque catastrophe terrible et salvatrice. Dans votre aventure, le but final importe peu, c’est le chemin pour y parvenir qui est riche de toutes ces découvertes et rencontres avec la nature qu’elle soit minérale ou humaine. Je vous envie de pouvoir emmagasiner ainsi tant de beautés et vous remercie encore de les partager avec générosité et talent. Cela m’aide à supporter le présent et vous aidera à ne pas désespérer de la nature humaine, lors de votre retour… Prenez soin de vous et j’ai presque envie d’ajouter « ne revenez pas »… L’histoire d’Ulysse me semble être un mensonge éhonté. Car nul ne peut « vivre entre ses parents le reste de son âge » après avoir connu ce type d’expérience. Dur dur de remettre les pieds sur terre après avoir eu la tête dans les étoiles. Si vous y parvenez, s’il-vous plaît, donnez-moi la recette !…
Merci de ce message, dont hélas je ne peux qu’approuver le contenu.
Le voyage est un accomplissement – réaliser un rêve qui nous renforce.
Il est aussi, inutile de le nier , la fuite d’une société de plus en plus vaine et désespérante.
Heureusement, tant que nous pourrons poursuivre le partage de nos vies et de nos rêves, il restera de l’espoir. Vous en êtes la preuve.
Amitié
Salut l’ami
Avant toute chose j’espère que tout va bien depuis ton carton , je ne trouve pas les mots juste pour t’exprimer le respect que m’inspire ton engagement déambulatoire Chilien c’est plus qu’un voyage … ,je refuse de livrer mon intimité et mes secrets à Face book donc je n’ai que ce lien pour communiquer avec toi j’espère que tu recevra ce message au dela de l’Atlantique take care
JP Brovelli
Salut, mon frère en folie partagée
Ça me fait le plus grand bonheur de recevoir un mot de toi, tu ne peux pas savoir.
Quant au rôle de héros, je ne fais que l’endosser malgré moi, poussé par les hasards et les rencontres de la route (voir mon dernier chapitre sur la Cuesta de Zapata).
Je t’embrasse avec toute mon amitié, ainsi que ta compagne.
Hello à vous sur le toit du Monde Sud américain 😉
C’est toujours un grand plaisir de vous lire bien que je souffre avec vous dans vos aventures …
Heureusement que les joies aussi sont présentes pour porter ensuite de si gros efforts.
C’est vrai qu’il faut être un peu fêlé pour faire une telle équipée 😉
Je vous admire Monsieur
Madame,
Merci du compliment
Mais que dire alors d’une famille avec deux enfants ?
Nous ne sommes pas des héros à admirer -d’ailleurs, je ménage mon vieux moteur ! – maïs simplement des adultes qui ne renonçons pas à vivre nos rêves d’enfants
Quelque soit ceux-ci, je vous souhaite de faire de même, pour vivre sans regrets
Avec mon amitié
Haletant !! Je me suis régalé… De ton récit!!
Avec toi!avec toi!!
Ici,le temps est sec et très doux,et le ciel pervenche parfois,un très bel été indien…
Si je peux me permettre, très chère amie, j’affirmerai sans la moindre hésitation que vous seriez la seule ou bien l’une des deux ou trois seules, capable de rouler de compagnie sur les routes d’Amérique du Sud et pas seulement sur les pages de Facebook. Vous me manquez vraiment parfois…
Oh ! oui ! on rrroule avec toi !
Le vent souffle fort aujourd’hui sur le Val d’Entraunes, les feuilles d’automnes sont emportées par le vent (!)…. je me demande si ça ne viendrait pas un peu de toi ????
des bises aventurero !
Paquito,
Fantastique!
J’etais passe trop rapidement en Bolivie…et je reve d’y retourner mais pour marcher pas pour y pedaller.
Sinon j’ai les Canaries en tete (parce que le Cap Vert c’est trop chere).
Donc en mai 2018 en France. Tu devrai etre de retour au bercail.
Je remarque que y’a que les femmes qui se font inviter dans ton chateau Mercantoureux…alors je tente le coup quand meme!
Bon tout ca c’est genial et de le partager a l’air d’etre bon pour tous!
Ici il pleut…mais ca n’empeche pas de pagayer le va’a sur l’ocean.
Il me reste un peu de chaleur catalane en tete…et justement comme tu as du suivre, ca chauffe la bas en ce moment. Il parle meme d’un gouvernement catalan en exil …en France.
Sous Franco…comme tu le sais trop bien, les refugies qui avaient passe la frontiere s’etaient retrouves en camps…
On verra ce que votre nouveau president (ben ouaih quoi, c’est plus le tien que le mien!) va inventer comme accueil…s’il y en a besoin.
Hasta luego amigo!