Retour au Sud

J’ai embarqué à Punta Arenas sur ce petit ferry d’une centaine de places, le Yagan, qui dessert l’extrême Sud chilien : l’île de Navarino et sa capitale, Puerto William. C’était la deuxième fois (ce qui suffit à faire de moi un habitué), et la traversée s’annonçait donc plutôt banale. Mais la remontée du détroit de Magellan à la tombée du jour nous réserva l’un de ces festivals de jeux de lumière dont la Patagonie détient le secret, le soleil couchant entamant avec mer, nuages et montagne une longue partie de cache-cache vespéral. Pour parfaire l’opération de charme, toute une bande de baleines avaient même été réquisitionnée pour  folâtrer gentiment autour du bateau. Ainsi s’estompa dans la douceur ce qui, à une nuit près, était ici le jour le plus long de l’année. Tout se présentait donc sous les meilleurs auspices.

Le proverbe dit : « si tu as beau temps, savoure la Patagonie, et si tu as moins beau temps, déguste la Patagonie authentique ». Au petit matin, l’attrape-touristes s’était hélas dissipé et tout était redevenu on ne peut plus authentique : le tangage du navire, l’écume sur la crête des vagues, la soupe de pluie que le vent se charge toujours de faire refroidir, un défilé d’iles fantomatiques émergeant de nuées grises et cafardeuses… De ces petits jours blafards où, si l’on n’est pas né en Patagonie, on croirait le soleil condamné à perpétuité… Attention ! Je n’ai pas parlé de mauvais temps ! Juste d’une météo revenue à la normale. Avec doudoune et anorak, on tenait sur le pont sans problème et nous avons même eu droit à quelques percées lumineuses pour le dessert, ce qui n’était pas du luxe vue la gastronomie des repas à bord du Yagan. Mais bon, je vais cesser de ronchonner : contrairement aux croisières de luxe que s’infligent volontairement des bataillons de retraités séniles avant l’heure, la moyenne d’âge était celle des routards (20 à 30 ans), l’ambiance allait de pair (très cool) et je faisais presque figure de patriarche, ce qui contribue toujours étrangement à me rajeunir.

Il n’y a quatre fois rien à faire à Puerto Williams. Une seule randonnée en tout et pour tout : le trek de Los Dientes de Navarino (4 jours), parcouru l’an dernier. Une seule route en tout et pour tout : celle qui longe le canal de Beagle. 54 km vers l’Ouest jusqu’à Puerto Navarino et 24 km vers l’Est jusqu’à la Caleta Eugénia, une petite anse vide ou cette route del Fin del Mundo baisse brutalement les bras et décide de ne pas pousser plus loin. Un charmant petit musée sur l’histoire des Yagans, la nation première qui vivait sur l’île. C’est tout. Pas d’excursion, pas le moindre amuse-touriste. Rien que la vie qui s’écoule paisiblement. En gros, on y fait l’été le bois qui permettra de passer l’hiver… et seuls viennent se perdre ici quelques voyageurs marginaux du tourisme. 

Mais c’est surtout un lieu, sur cette planète, où les hommes se parlent encore. Les Chiliens parce qu’ils se connaissent tous (ils sont moins de 3000 habitants) et qu’ils ont toujours le temps. Les touristes, eux, après trois tours du village et une journée de doux ennui, ont vite fait de se reconnaître et sont si peu nombreux qu’ils éprouvent le besoin instinctif de resserrer un peu les rangs. J’ai ainsi rencontré un couple de jeunes Américains, un autre de Français (lui ayant vécu plusieurs années à Saint Martin d’Entraunes, incroyable, non ?). J’ai longuement discuté avec Carine, une Francaise vivant en Irlande et en plein questionnement existentiel, plusieurs fois croisé une jeune Chilienne en vacances. Enfin, j’ai retrouvé à Punta Arenas, puis à Ushuaia mon amie croate, Annie. Nous ne nous étions pas revus depuis quinze ans au moins et ce furent des moments profondément heureux.

Entre deux parlotes, j’ai fait quand même un peu de rando et même une journée de vélo. Revenir sur ses pas est une autre expérience, qui a le goût sucré et apaisant des choses déjà connues. La Patagonie est toujours aussi belle. J’espère simplement que mes photos témoignent d’un regard plus perçant et plus intime que la seule grandeur sauvage de ses paysages.


2 réflexions sur « Retour au Sud »

  1. C’est toujours agréable de retourner sur un lieu de voyage : on prend plus le temps et on en profite mieux car on ne se soucie plus du côté matériel de voyage. Tu as raison : on devrait toujours aller 2 fois au même endroit en voyage ! Profite !

  2. Je suis bien d’accord avec toi et Bruno…en revenant sur un lieu connu, on s’y sent deja un peu plus chez soi…surtout quand on y est reconnu.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.