À Puerto Natales, nos chemins se sont séparés, Capucine et moi. La Bretonne s’en est retournée vers l’océan et l’irrésistible chant des sirènes. Le montagnard a dirigé ses pas vers El Chalten et les cimes du Fitz Roy. Je pensais être enfin peinard (c’est vrai que les Bretonnes sont insupportables et on comprend mieux pourquoi les Bretons prenaient si souvent le large). En réalité, c’est devenu bien pire. Je voyage en effet, non pas seul comme prévu, mais en trio : me voici dès lors accompagné d’un couple infernal constitué d’un côté d’un autre moi-même – le même, mais ruiné par l’âge – (que d’autres se sont chargés depuis longtemps d’appeler « le vioque »), et de l’autre, de sa fidèle et invisible compagne, Miss Sciatique.

Le mec reste fidèle à lui-même. Il continue à rêver de treks en dehors des sentiers battus, de coins paumés et inaccessibles, et de bivouacs sauvages. C’est précisément le moment que choisit sournoisement Miss Sciatique pour rendre sa jambe droite insensible jusqu’au bout des orteils, ou pour lui coller deux barres bien douloureuses derrière les genoux (car, raffinée, ma nouvelle maîtresse sait varier les plaisirs). Un interminable débat s’instaure alors avec le « vioque » : souffrir ainsi à chaque démarrage, cela s’impose-t-il encore à ton âge ? La sagesse consiste-t-elle à serrer les dents et à poursuivre, ou bien à savoir renoncer en acceptant son vieillissement ? A quel poids de sac à dos peut-on fixer la frontière entre courage, lucidité et résignation ?

Pour le moment, j’ai tenté un compromis, en parcourant un petit trek de 3 jours aux étapes courtes (une demi-journée environ), prolongées chaque jour d’une randonnée de quelques heures sans portage. Ce trek relie les plus beaux belvédères autour du Fitz Roy. Les paysages y sont simplement grandioses, surtout lorsqu’ils acceptent de laisser tomber leurs pudiques voiles de nuages pour se livrer à un peu d’exhibitionnisme. Le problème, dans cette hypothèse ici toujours optimiste, c’est que le spectacle est alors aussi couru que les Folies Bergères et les sentiers aussi encombrés que le tour du Mont Blanc…

Après cette dure épreuve, histoire d’entretenir ma misanthropie ordinaire, je suis allé, cette fois leger et pour la journée, me consoler en faisant le plein de solitude à une vingtaine de kilomètres d’El Chalten, dans la réserve des Huemuls. Je n’y ai effectivement rencontré, le mauvais temps aidant, ni un chat, ni même le moindre puma. Mais cela m’aura tout de même coûté 860 pesos de minibus et 300 de plus pour l’entrée dans la réserve (au total, la bagatelle de 27 Euros pour une rando). Car nous sommes en Argentine en plein paradis neo-liberal. D’un côté, on réduit le budget des parcs nationaux, comme ici celui de Las Glaciares. Cela implique de concentrer la fréquentation sur quelques itinéraires incontournables tout en fermant au public nombre d’autres sentiers autrefois accessibles. Ceci dit, l’accès du parc comme les campings en zone centrale restent encore gratuits, donc accessibles à tous, et en particulier aux jeunes (comme votre serviteur !).

De l’autre, les propriétaires des grandes estancias alentours ont vite compris que la nature protégée pouvait se vendre, et ceci d’autant mieux que le reste de la planète était de mieux en mieux ravagé. Les réserves privées se multiplient donc et vendent un nouveau produit de luxe réservé aux plus friques : la nature sauvage. Dans la réserve des Huemuls, l’entrée est à 300 pesos par personne, mais une nuit dans son refuge privé de Puerto Cagliero s’élève tout de même – altitude oblige – à 6700 pesos pour deux personnes (sans les repas) : presque 80 Euros par personne… À ce tarif, les sentiers peuvent être bien entretenus et le sourire du personnel compris…

Voici où nous en sommes, moi et « le vioque ». Attendant patiemment le retour d’un semblant de beau temps. Tenté et cependant perplexe devant un trek sauvage et grandiose de quatre jours, le tour du Cerro Huemul (rien à voir avec la réserve privée évoquée plus haut). Je vais tout au moins, je pense, y faire une tentative. Si c’est trop dur et trop long, je reviendrai humblement sur mes pas. Et puis, il faut bien que je sache au final lequel des deux a raison : le mec ou le « vioque » ? Car jusqu’à quel point faut-il se battre contre soi-même ? Ce qui a du sens, est-ce la quiétude du repos ou bien la rage de vivre ce qu’on aime jusqu’à son dernier souffle ? La sagesse est-elle dans l’acceptation ou bien dans l’action ?

Bisous du randonneur un rien délabré.
On pourrait appeler cela un voyage ini-Sciatique…mais bon, ca ne va pas te faire rire…
et rire est la pire des choses dans ce genre de situation medicale.
La bonne nouvelle est que trois femmes de Smithers partent dans cette direction d’ici quelques jours…et devraient pouvoir t’assister avec des massages appropries.
Mais je n’en dit pas davantage car je leur ai refile l’adresse de ton blog (je ne sais pas si c’est tres ethique de faire cela…mais ce n’est pas prive apres tout!).
Il semble que la seule fois ou je t’ai vu dans cet etat, de fendre du bois avait semble resoudre le probleme.
Tu peux peut etre abattre quelques arbres du parc et commencer a en faire du bois de chauffage!?
Tiens le coup!
Cher docteur, je vais suivre vos conseils médicaux à la lettre et consacrer toute mon énergie à séduire quelques jolies filles prêtes à me masser le bas du dos dans le sens du poil.
Prochain bulletin de santé dans une semaine
LA SAGESSE EST DANS LE RENONCEMENT ! HÉLAS !
Mais c’est pour laisser la place à de nouvelles expériences ! Genre hospitalisation ambulatoire et survoltée ou ado muet tapotant sur son tél. tout l’après-midi devant mémé exaspérée puis faisant de même ou encore confection assidue de semoule au lait et compote de pommes jusqu’à l’écoeurement etc…
Puisque le paysage est toujours le même, allons nous reposer.
et si les Bretonnes sont insupportables (avis unanime), c’est qu’elles ont du caractère.
Bisous au valeureux Hispano-Berrichon .
Chère professeur
C’est promis, je vais me convertir au renoncement, à la semoule au lait (avec du caramel), à la compote de pommes, bien qu’ici ce soit plutôt de saison de sucrer les fraises.
Pour tapoter sur un clavier, histoire de ne rien dire : c’est déjà fait depuis longtemps.
La preuve.
Bisous à la Bretonne de Haute Savoie
Erreur de prescription. Les Smithereens ne quittent nos montagnes que dans un mois (28 fevrier).
Il faudra patienter et continuer a abattre des arbres pour les fendre avant de pouvoir esperer un massage.
En attendant, je vais faire le gros dos
A voir ces magnifiques photos on devine à quel point cette nature est rude et sauvage, c’est une aventure très engagé quand même de randonner dans ces lieux superbes, bravo à toi et un immense merci pour nous faire partager tes exploits.
Désolé de choir du piédestal sur lequel tu me juches, Jacques. Les treks que j’ai parcouru en Patagonie ne s’adressent certes pas à des débutants (mais j’ai exercé longtemps comme accompagnateur en montagne et j’y vis ). Ce sont des itinéraires néanmoins abordables, en tout cas tant que l’on a beau temps car une mauvaise météo en Patagonie est bien plus redoutable que chez nous. Le terrain est aussi très souvent plus physique car les sentiers réguliers et bien tracés de nos parcs nationaux n’existent pas. Mon seul petit exploit, c’est de faire ça à bientôt 70 ans quand la moyenne d’age doit y être de 30 ans. Amicalement.