La Caperucita y el Lobo (*) (Valparaiso)

Le centre ville de Valparaiso est gris et réellement moche. Le jour, c’est un circuit de course pour les « colectivos”, ces minibus qui sillonnent la ville à toute vitesse dans un concert ininterrompu de klaxons, de crissements de pneus et de couinements de freins. La nuit, c’est le territoire des grands méchants loups, et il parait qu’il ne vaut mieux pas y traîner, surtout dans le quartier du port, sinistre et à demi-abandonné…

Il y a bien, le long de la mer, une nouvelle « promenade » dont l’ambition non dissimulée est de donner à la ville des allures de Riviera niçoise. Mais même si, à l’autre bout du « paseo », Viña del Mar, station chic et toc, se prend quelques jours par an pour la rivale de Cannes, la promenade de Valparaiso, coincée entre la route, la voie ferrée et des entrepôts en ruines n’offre d’autre attraction réelle qu’un minuscule port de pêche, avec les lions de mer, mouettes et pélicans dont il assure la subsistance.

Non ! Pour découvrir et aimer Valparaiso, il suffit tout simplement de monter. Le long de rues très pentues. Par des escaliers et des ruelles sombres. Enfin, lorsqu’ils veulent bien fonctionner, par d’antiques funiculaires et de vénérables ascenseurs.

La vraie ville est là. C’est ce fouillis inextricable de maisonnettes en bois accrochées désespérément de tous leurs fragiles piliers aux pentes des collines. De bric, de broc et de tôle ondulée, ou bien de facture classique et bourgeoise, restaurées à grand coup de fric par les promoteurs ou bien dévorées par les incendies, elles forment partout ce dédale en pente, coloré, anarchique et joyeux qu’est la ville de Valparaiso.

De plus, les peintres de rues se sont emparés de ce territoire pauvre, marginal et délaissé, et en ont fait en quelques années l’atelier d’une création foisonnante, œuvre à la fois collective et individuelle. C’est le défi éclatant de la couleur jeté comme un pavé au beau milieu d’un bidonville : romantique à souhait. Le petit port des pauvres est ainsi devenu une galerie d’art populaire dont les œuvres s’accrochent à chaque coin de rue, et c’est ce qui fait aujourd’hui, à juste titre, son attrait touristique.

De ce fait, en dehors de la maison de Pablo Neruda et de son beau jardin, Valparaiso ne se visite pas. Elle se flâne, les yeux écarquillés, de ruelles en ruelles, de surprises en surprises, et de collines en collines. Le petit chaperon peut y déambuler le nez au vent, en toute insouciance, à condition cependant de ne pas s’aventurer trop loin ou trop haut comme la chèvre de Mr Seguin. Car les quartiers qui s’étalent jusqu’aux sommets des collines restent encore peu fréquentables pour les petites filles à la recherche de selfies inédits.

La ville est ainsi, fascinante et déconcertante, telle une tzigane misérable, mais pleine d’allure, drapée dans ses frusques colorées. Elle affiche ostensiblement et sans pudeur toutes les contradictions du Chili d’aujourd’hui : le contraste entre les riches et ceux qui survivent en vendant des bricoles sur le trottoir, la spéculation immobilière qui fleurit sans vergogne sur le territoire des quartiers populaires, les équipements publics aussi grandioses qu’inutiles, et le fouillis aussi gracieux qu’inextricable des lignes électriques ou téléphoniques.

Et tout cela palpite dans la douceur tiède du Pacifique, dans l’attente inexorable du tremblement de terre qui viendra un jour rebattre les cartes de la ville. Romantique au possible, vous dis-je. L’une des ruelles à d’ailleurs délimité « una zona de abrazos” ( un emplacement pour les baisers). De plus, ma pension s’appelait La Bicyclette et ma terrasse de restaurant préférée « La Caperucita y El Lobo ». Vous l’aurez compris depuis longtemps : Valparaiso, j’ai passionnément aimé.

(*) le petit chaperon et le loup

Adieu à la Patagonie (Puerto Montt)

C’était le 25 Décembre, le jour de Noël. Je suis arrivé à vélo, après une vingtaine de kilomètres depuis Puerto Varas. Le temps était gris lugubre. La ville, Puerto Montt, morte, déserte et passablement moche. J’étais anxieux. Le soir, j’allais embarquer sur un ferry pour une contrée étrange à la réputation terrible : la Patagonie. C’était l’une de ces journées de transit, indéfinissables, qui n’en finissent plus de s’étirer et qui ponctuent de temps à autre nos voyages sans y laisser d’autres souvenirs que celui d’une attente indécise, d’un entre-deux aventures, deux pays, deux modes de vie, deux histoires.

Nous sommes le 23 Mars. Je suis arrivé à vélo, après une quinzaine de kilomètres. En raison de la marée, le ferry a en effet dû nous débarquer ce matin loin de la ville. Le temps est gris lugubre, mais semble étonnamment doux lorsqu’on revient de Patagonie. La ville, Puerto Montt, n’est plus déserte, mais largement aussi moche. Je ne suis plus anxieux. Mais j’ai la même impression étrange de flotter entre deux mondes. Les quatre jours en bateau de Puerto Natales jusqu’à Puerto Montt étaient d’ailleurs à mi-chemin entre le trajet en ferry et la mini-croisière, entre l’univers du voyage et celui du tourisme.

Et tout au long de ces lentes journées de navigation en huis-clos (nous étions une centaine à bord), je me suis laissé dériver entre trois langues et trois petits groupes – français, espagnol et anglais, (ce dernier me servant surtout, curieusement, à échanger avec des Allemands!). Cela peut paraître anodin, mais je suis fier et heureux de cette capacité d’ouverture en même temps que de cette indépendance personnelle, loin d’être évidentes surtout lorsqu’on peut se blottir frileusement au sein de ses compatriotes et de sa langue maternelle.

Pour le reste, ce voyage retour aura été, comme je le souhaitais, une lente transition. L’une de ces parenthèses suspendues dans le temps qui permettent de retrouver ses esprits, ou du moins de revenir vers une vie plus sociable, moins tendue par la volonté obscure et tenace du nomade de poursuivre toujours un but, fut-ce un fantasme.

Le Pacifique n’a fait le dos creux qu’une quinzaine d’heures, juste histoire de montrer qu’il porte mal son nom, en tout cas sous ces latitudes. J’ai rêvé sur ma couchette qu’une grande balançoire m’affranchissait délicieusement des contraintes de la pesanteur, dans un lent mouvement sans fin. J’ai beaucoup lu – en Espagnol -, retrouvant le plaisir de voyager non plus à coups de pédales, mais immobile, par mots et merveilles. Je me suis même reconverti dans le plus studieux des étudiants, suivant deux fois plutôt qu’une chacune des conférences (données alternativement en Anglais et en Espagnol). Au terme de ces deux versions, j’arrivais à comprendre les deux tiers de leur contenu et nul doute que si une troisième avait suivi – en Français bien sûr – je n’eusse tout saisi !

Ainsi, de Puerto Natales à Puerto Montt, ai-je pris doucement le large de la Patagonie, mettant fin à nos amours tumultueuses de l’été…

Lettre à Isabelle Autissier

Chère Isabelle

Je t’écris cette lettre depuis Puerto Natales, ou je suis de retour après huit jours de marche autour des Torres del Paine.

C’est le tout premier jour, dans le grand supermercado à touristes du point de départ, à Torres central, que je suis tombé nez à nez avec toi, ou plutôt avec ton bouquin. Mais tu le sais, les rencontres, qu’il s’agisse des livres ou de nos semblables, ne doivent jamais rien au hasard. Alors que mon sac était déjà bien trop lourd pour mon pauvre dos, je n’ai pas pu résister et je l’ai acheté, comme ça, d’instinct. Peu importe qu’il s’agisse d’une édition en Espagnol. Le titre, « L’amant de la Patagonie » me suffisait amplement.

S’en est suivie une randonnée ordinaire en Patagonie. Après un jour miraculeux de beau temps, le vent et la neige fondue se sont invités pour un week-end prolongé. Sentiers inondés, torrents gonflés, tente détrempée, duvet et vêtements plus qu’humides. Le genre de moments, surtout après plusieurs jours d’affilée, ou l’on se demande ce que l’on fait dans cette galère. Mais une galère, c’est un bateau, alors inutile de te faire un dessin, je pense…

Seulement chaque soir, je rejoignais Emily à Ushuaia, sur les rivages du canal de Beagle. Je n’avais d’ailleurs aucun mal à imaginer les lieux : je venais de passer plus de dix jours en face, à Puerto Williams. Et je lisais lentement – mon Espagnol est laborieux – son, ou plutôt ton histoire. Ce fut un vrai bonheur et une vraie force d’y retrouver à travers tes mots la véritable fascination amoureuse que peut exercer sur certains de nous ce pays impossible, où s’étreignent furieusement la mer, les montagnes, l’eau, le vent et la lumière.

Ton livre, et ton personnage m’ont aidé à accepter ce pays tel qu’il est, dur et beau, davantage peut-être que mon Mercantour (c’est certain en ce qui concerne la dureté). Je me devais donc de te remercier. Entre autres pour ces quelques lignes : « Pienso en la expresión de sencilla felicidad de Aneki y de Ann durante nuestras partidas de pesca, en una de las primeras frases que me dijo, con verdadera nostalgia en la voz. – Es hermoso, mi país.”

Deux choses pour terminer.
Je me suis permis de te tutoyer. Je te prie de m’en excuser. Il s’agit seulement pour moi de souligner la familiarité qui existe entre marins et montagnards. J’habite au pied du col de la Cayolle. Ma maison est ouverte à tous les voyageurs. Je serai heureux de t’y recevoir, et de rencontrer la femme après l’auteure.
Enfin, je vais revenir bientôt au Chili. Mais après le vélo et la rando, ce sera cette fois pour accompagner la descente d’un bateau vers le Sud, de Puerto Montt jusqu’à Ushuaia. La première fois, pour moi, en voilier…

Merci encore, de tout mon cœur.

Paquito Perez