Et pourquoi tout ça ?
En premier lieu, c’est irréfutable : parce que ça me fait une belle jambe ! Regardez donc mes beaux attributs de bipède : l’arrondi du genou, les muscles de la cuisse, le galbe du mollet… Allez, avouez que vous êtes un peu jaloux…
Mais ce n’est pas tout ! Sans vouloir vous faire pâlir, sachez que j’ai fondu de plus de 6 kg au cours de ma modeste odyssée ibérique, offrant ainsi une preuve irréfutable que le « jamón ibérico « , plus sec et plus maigre, est le meilleur jambon cru du monde….

Enfin, inutile de bouder le petit bonheur narcissique de cultiver ainsi mon image de voyageur romantique. Car il n’y a pas que vous, amis de Facebook et autres dévoreurs de blogs, pour partager mes routes : mon fan-club le plus nombreux et le plus fidèle au cours de ce voyage fut incontestablement celui des huppes, ces oiseaux magnifiques qui, tout au long des routes d’Espagne, m’ont sans la moindre lassitude encouragé de leurs « houp, houp, houp ! (hourra !) ». Et je ne parle pas des chansons d’amour inlassablement entonnées en chœur par les grenouilles à chaque claire fontaine…

Après, entrent dans mes voyages un certain nombre de motivations et de recherches personnelles, parfois contradictoires, et plus ou moins avouables.

J’ai déjà évoqué le besoin, avec l’âge, de renouer avec mes origines, sans doute pour mieux saisir le sens de tout ce chemin de vie parcouru. Ce fut le Berry de ma mère et de ma tante, l’an dernier, au cours de ma traversée de la France, et ce fut l’Espagne de mon père, cette année. Avec, pour cette dernière, je l’ai déjà évoqué, ce besoin issu de mon histoire familiale personnelle de me ré-approprier un peu d’une identité espagnole qui m’a été si longtemps interdite et censurée. Il y a donc, en tous cas pour mes deux derniers voyages, le désir de jeter un regard en arrière et une quête personnelle d’identité.

Mais, paradoxalement, si je ne me sens jamais aussi bien, aussi léger et aussi heureux que lorsque je vagabonde, c’est justement parce que le nomade n’a pas de « chez lui », pas d’adresse, et donc plus d’identité véritable. Il n’en a plus besoin. Le caractère éphémère de son passage l’en dispense. Sa qualité de voyageur suffit à le définir. Le vagabond, lorsqu’il est « installé » dans le voyage en tant que mode de vie – cela exclut de fait toutes les courtes escapades dont notre mode de vie pressé est si friand – devient de fait citoyen du monde en même temps qu’un apatride sans racines et sans origines. C’est sans doute parce que jamais et nulle part je ne me suis senti vraiment parfaitement « chez moi » que j’aime tant cet état nomade indéfini. Même dans la vallée, celle ou je vis depuis 22 ans et que je ne quitterai plus pour ailleurs, je me sens parfois davantage « adopté » que vraiment « d’ici ». A contrario donc de toute recherche d’identité, mes voyages sont aussi porteurs de fuite vers un univers sans passé, sans attaches et sans autre futur que la perpétuation sans fin d’une vie nomade réduite au seul présent (en un mot, la liberté et la solitude extrêmes).

C’est ce qui, à chaque fois, me rend la perspective de la fin du voyage si insupportable. Plus les crêtes des Pyrénées se rapprochaient, plus j’avais envie de changer mon itinéraire pour m’inventer mille détours supplémentaires en Espagne, histoire de repousser dans le temps et l’espace la fin de mon vagabondage. Alors, la seule raison valable de rentrer se réfugie non pas tant dans l’émotion de retrouvailles attendries (sweet home, famille, amis chers), mais bien plutôt dans la poursuite d’un autre rêve, d’une autre fuite intemporelle et solitaire, de préférence vers des pays démesurés, sur des routes se perdant à l’horizon, bref vers le bout du monde.
Mais, derrière le rêve ultime du voyageur, atteindre Uschaia ou une autre fin du monde, que se cache-t-il donc ? L’envie de se perdre ou bien au contraire de se trouver ? Assumer sans fart l’infinie solitude qui est la nôtre ? Ou bien y puiser au contraire le désir lucide et assumé de revenir vers les autres ? N’accepter la vie que distillée par le filtre éphémère du voyage, comme si l’on ne recherchait que son essence pure (et volatile) ?

À toutes ces questions, je n’ai bien entendu aucune réponse. Mes seules certitudes, c’est d’une part que je repartirai dans quelques mois, et d’autre part que rien n’est jamais plus heureux qu’achever un voyage chez des amis chers. C’était le cas l’an dernier en Bretagne. Ce fut encore le cas cette année dans les Pyrénées. Et je peux affirmer qu’il n’est pas de palier de décompression plus efficace pour repasser en douceur du nomadisme a la vie sédentaire…

Merci donc infiniment à Sarah, Marco, Lilou (a Eup) et à Philippe, Joëlle et Maël (à Toulouse) pour leur hospitalité chaleureuse, point d’orgue plein de sensibilité à mon superbe périple espagnol.