SHADOW LIFE

C’est une BD réservée aux plus de 77 ans. Je l’ai donc lue en cachette, ajoutant le plaisir de la transgression à celui de la lecture. Car, inutile de le cacher, je me suis régalé en découvrant ce manga canado-nippon à nul autre pareil. Il faut avouer que son héroïne n’est pas sans me rappeler ma propre mère … et chacun sait que les mâles restent d’éternels petits enfants à la recherche de leur maman. Sauf qu’ici, Kumiko n’a pas deux garçons, mais trois filles (ce qui est, vous me l’accorderez, bien plus fâcheux). D’ailleurs, la preuve : ses filles ont décidé  – évidemment pour son bien  –  de la placer dans une maison de retraite ORPEA , « les Pâturages Verts », le genre d’établissement où les places sont chères à tout point de vue (« Tu sais que çà faisait trois ans que tu étais sur la liste d’attente des Pâturages Verts, M’man ? »).

Le seul Hic de cette providentielle et coûteuse mise à l’abri, c’est que « personne n’a envie qu’on lui dicte sa vie », et surtout, surtout pas Kumiko, qui entend bien continuer à mener seule sa barque ! Elle s’offre donc une petite fugue, que raconte la première partie (et la plus belle pour moi) de ce manga. Elle loue un petit appartement et mène sa vie. Rien que de très ordinaire pour une personne âgée, sauf que cette liberté retrouvée peuple son quotidien de rencontres, toutes pleines d’humanité et venues d’âges différents. Tout ce qui lui manquait dans sa maison de retraite. Cela va du chauffeur de bus qui la fait voyager sans billet et ne démarre que lorsqu’elle s’est assise, à son jeune voisin de palier, qui lui apporte de quoi dîner, ou à la vendeuse d’électro-ménager du magasin tout proche. Kumiko va même rompre sa solitude – elle avait coupé avec toutes ses vieilles copines (« Oooh, ces vieux machins ! Elles sont gentilles, mais leurs conversations étaient d’un ennui… ») – et renouer avec Alice, sa meilleure amie, ou plutôt son amante de jeunesse, révélant du même coup à ses filles totalement sidérées sa bi-sexualité et son anti-conformisme viscéral.

Malgré tout çà, Kumiko n’échappe pas à la loi de la vie, celle qui nous condamne tous à être un jour rattrapés par la mort. Elle rêve bien un instant d’essayer de marchander avec elle, comme Tithon, celui qui avait souhaité la vie éternelle, mais en oubliant de demander la jeunesse éternelle. « Mais ai-je vraiment envie de marchander avec la mort ? Je ne suis pas assez désespérée. ». Une mauvaise chute et une fracture, la menace d’un mélanome, puis une attaque cardiaque : Kumiko est poursuivie par la mort, présence têtue, incarnée tantôt par l’ombre d’un chat noir, tantôt par des fantômes évanescents, tantôt enfin par une effrayante araignée. Elle résiste, lutte, se débat, surnage, repousse le rendez-vous fatal, boucle le chat noir dans le sac de l’aspirateur, le saupoudre de sel pour le neutraliser, résiste à la douce tentation de rejoindre son mari bien-aimé (elle est veuve), il n’empêche qu’elle se voit inexorablement rattrapée par la maladie. Je ne vous dirai pas la fin de l’histoire (çà ne serait pas du jeu), sauf qu’elle se passe aux urgences.

            Pour conclure, je me contenterai de reprendre le commentaire d’un des acteurs : « vous êtes un sacré bout de vieille femme ». Je me permettrai d’ajouter – même si je suis encore bien jeune pour avoir tout compris (je n’ai que 72 balais, et en plus, le livre fait référence à un univers imaginaire nippon pour lequel nous manquons de références), que ce manga est une sacrée leçon de vie ! Et un livre profondément bouleversant…

Arsène Chassenouille, correspondant de guerre sur le front nippon (à la retraite).

La maison de mes pères (Jorn Riel)

C’est le livre parfait à lire (ou relire) en période de confinement : il enferme en effet cinq hommes, une femme et un gosse dans une minuscule et misérable cabane, perdue au milieu de nulle part dans un pays si peu civilisé que même les ours poussent la porte sans frapper. De plus, la consommation de boissons fortes et vigoureusement remontantes y est tout au long du livre aussi élevée qu’actuellement dans nos maisons pour traverser cette passe difficile.

C’est le livre parfait à lire (ou relire) en période de dé-confinement : il se passe en effet au milieu des immensités glacées du Grand Nord, ce qui ouvre à nos imaginations trop longtemps bridées des champs illimités de fantasmes aventureux, libertaires, voire érotiques.

Enfin c’est le livre parfait à lire (ou relire) simplement :

  • parce qu’il est profondément drôle et vous fait éclater de rire au détour d’une page,
  • parce qu’il est très profondément humain et touchant, et qu’il vous arrache une larme au détour d’une autre,
  • parce qu’il est profondément macho (et que je suis un sinistre mâle) et qu’il ne faut pas le mettre dans les mains de vos copines, toutes féministes, sauf à vouloir les transformer en ennemies héréditaires,
  • parce qu’il est un éloge de la vie aussi gouteux que toutes les recettes exotiques qui y sont évoquées (et  qui vous transformeraient en un petit tonneau grassouillet si vous pouviez les déguster tout en lisant.)
  • Parce qu’il prouve que des petites communautés coupées du monde, mais pétries d’amour et d’affection, (même si l’on s’y pille et s’y bagarre sans vergogne), sont mille fois plus solides et heureuses que nos individualismes bourrés de modernité et pétris de culpabilité.

En bref, c’est gouleyant, remontant, chaleureux et réconciliateur : que demande le peuple ? Laissez vous contaminer …

Lettre à Isabelle Autissier

Chère Isabelle

Je t’écris cette lettre depuis Puerto Natales, ou je suis de retour après huit jours de marche autour des Torres del Paine.

C’est le tout premier jour, dans le grand supermercado à touristes du point de départ, à Torres central, que je suis tombé nez à nez avec toi, ou plutôt avec ton bouquin. Mais tu le sais, les rencontres, qu’il s’agisse des livres ou de nos semblables, ne doivent jamais rien au hasard. Alors que mon sac était déjà bien trop lourd pour mon pauvre dos, je n’ai pas pu résister et je l’ai acheté, comme ça, d’instinct. Peu importe qu’il s’agisse d’une édition en Espagnol. Le titre, « L’amant de la Patagonie » me suffisait amplement.

S’en est suivie une randonnée ordinaire en Patagonie. Après un jour miraculeux de beau temps, le vent et la neige fondue se sont invités pour un week-end prolongé. Sentiers inondés, torrents gonflés, tente détrempée, duvet et vêtements plus qu’humides. Le genre de moments, surtout après plusieurs jours d’affilée, ou l’on se demande ce que l’on fait dans cette galère. Mais une galère, c’est un bateau, alors inutile de te faire un dessin, je pense…

Seulement chaque soir, je rejoignais Emily à Ushuaia, sur les rivages du canal de Beagle. Je n’avais d’ailleurs aucun mal à imaginer les lieux : je venais de passer plus de dix jours en face, à Puerto Williams. Et je lisais lentement – mon Espagnol est laborieux – son, ou plutôt ton histoire. Ce fut un vrai bonheur et une vraie force d’y retrouver à travers tes mots la véritable fascination amoureuse que peut exercer sur certains de nous ce pays impossible, où s’étreignent furieusement la mer, les montagnes, l’eau, le vent et la lumière.

Ton livre, et ton personnage m’ont aidé à accepter ce pays tel qu’il est, dur et beau, davantage peut-être que mon Mercantour (c’est certain en ce qui concerne la dureté). Je me devais donc de te remercier. Entre autres pour ces quelques lignes : « Pienso en la expresión de sencilla felicidad de Aneki y de Ann durante nuestras partidas de pesca, en una de las primeras frases que me dijo, con verdadera nostalgia en la voz. – Es hermoso, mi país.”

Deux choses pour terminer.
Je me suis permis de te tutoyer. Je te prie de m’en excuser. Il s’agit seulement pour moi de souligner la familiarité qui existe entre marins et montagnards. J’habite au pied du col de la Cayolle. Ma maison est ouverte à tous les voyageurs. Je serai heureux de t’y recevoir, et de rencontrer la femme après l’auteure.
Enfin, je vais revenir bientôt au Chili. Mais après le vélo et la rando, ce sera cette fois pour accompagner la descente d’un bateau vers le Sud, de Puerto Montt jusqu’à Ushuaia. La première fois, pour moi, en voilier…

Merci encore, de tout mon cœur.

Paquito Perez